Marqués comme nous le sommes, en France, par un demi-siècle d’héritage gaulliste et deux siècles de fractures idéologiques remontant à la Révolution, nous ne pouvons que rire (à droite) ou pleurer (à gauche) du spectacle donné par les socialistes.
On ne peut qu’y dénoncer une foire d’empoigne car nous ne pouvons comprendre qu’ils alignent tant de candidats à la candidature alors que la dignité de leur famille politique leur demanderait, dans notre culture, d’être unis autour d’un corps de valeurs incarné par un homme. On ne sait y voir qu’une compétition d’egos car nous ne pouvons admettre que tant de ces aspirants à la présidence de la République soient si peu blanchis sous le harnais alors que cette fonction reste, à nos yeux, réservée à des personnalités façonnées par l’histoire et plusieurs décennies de combats obligatoirement tragiques.
Pour nous, un Président, un vrai, c’est Charles de Gaulle à droite, François Mitterrand à gauche, deux hommes issus de la guerre, évacués de la scène politique par le front des médiocres et ressuscités par une superbe de monarque et une inébranlable foi en leur destin. Pour nous, un Président doit être hors du commun, Bonaparte ou Louis XIV, une incarnation de cette exception française à laquelle nous n’entendons pas renoncer mais peut-être la réalité a-t-elle changé sans que nous ne l’ayons réalisé.
Peut-être notre théâtre politique s’est-il américanisé pour deux raisons qui ont banalisé la France sans que nous ne l’ayons souhaité. La première est que nous sommes passés du septennat au quinquennat, d’un mandat présidentiel long à la durée commune d’une législature dans la plupart des démocraties. Nous ne l’avions pas vraiment vu sous le second mandat de Jacques Chirac parce qu’il prolongeait un septennat et que son acte essentiel avait été l’opposition à la guerre d’Irak, moment de singularité nationale qui avait fait revivre les temps gaulliens. Modification de la Constitution ou pas, nous en étions restés à la tradition française mais nous en sommes sortis avec l’élection de Nicolas Sarkozy.
C’est en 2007 que la rupture institutionnelle s’est opérée, beaucoup moins à cause du tempérament de ce Président que de la logique d’un mandat court qui, comme aux Etats-Unis, fait à la fois du chef de l’Etat un président et un chef de gouvernement. C’est un Premier ministre au titre de Président que la France élit désormais, un président américain et non plus un monarque théoriquement placé au-dessus de la mêlée. Qu’on s’en réjouisse ou le déplore, la fonction en est désacralisée et le second changement qui banalise la scène politique française est que la gauche a maintenant fini de rompre avec les mythes révolutionnaires.
Même à la gauche de la gauche, même en mots, personne ne s’en réclame plus. Si présente depuis 1789, l’idée du Grand Soir a vécu en France et la principale force de gauche, le Parti socialiste, ne veut plus troquer l’économie de marché pour l’économie administrée. Il y a très longtemps, en fait, que ce n’était plus le cas mais c’est maintenant si clair que l’affrontement idéologique entre gauche et droite s’est effacé, comme aux Etats-Unis, au profit d’une compétition entre deux grands courants se réclamant l’un de la justice sociale et de la solidarité, l’autre du conservatisme et de la responsabilité individuelle.
Comme aux Etats-Unis, deux partis attrape-tout se font face, regroupant l’un et l’autre toute une palette de sensibilités et ce démantèlement de l’armature idéologique des partis, maintenant aussi visible à droite qu’à gauche, a ouvert la voie à l’adoption du système américain des élections primaires et, partant, en ce moment même, à la multiplicité des candidatures à la candidature.
Contrairement à ce que l’on croit, le Parti socialiste pourrait bien être non pas à l’arrière-garde mais à l’avant-garde d’un nouveau siècle, non pas à la pointe de l’archaïsme mais à celle d’une américanisation qui, pour avoir peu de séductions intellectuelles et pour encore moins flatter l’orgueil national, offre néanmoins de vrais avantages. Dès lors que ce sont les électeurs qui choisissent les candidats, l’émergence d’idées et de personnalités nouvelles, plus en prises avec leur temps, en est facilitée.
Sans primaires, il n’y aurait eu ni Robert Kennedy, ni Jimmy Carter, ni Bill Clinton, ni Barack Obama. Le permanent renouvellement de la vie politique américaine tient à ce système dont on ne peut dire d’avance ni qu’il nuira forcément à la gauche française, ni qu’il ne donnera pas l’occasion à un autre candidat de droite de s’imposer contre Nicolas Sarkozy. Dans les primaires, la seule certitude est que leurs favoris sont rarement leurs vainqueurs.
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