Tribunes

L'américanisation de la justice.

Libération

Il n'est pas exclu qu'au détour d'une des multiples réformes de procédure pénale qui se succèdent à une cadence accélérée, notre système pénal et plus largement notre système de justice dans son ensemble, bascule vers une procédure de type accusatoire à l'américaine. Or, le débat procédure accusatoire/procédure inquisitoire n'est pas qu'une discussion technique de juristes, mais recouvre des enjeux fondamentaux concernant l'évolution de notre dispositif judiciaire dans son entier, tant les règles de procédure pénale influencent tout le système.

Allons-nous garder un système de justice de conception inquisitoriale, avec un juge actif, ou allons-nous passer dans un système de type accusatoire à l'américaine où le juge est uniquement l'arbitre passif d'un débat entre les deux parties ? Etant précisé que, depuis des années déjà, notre procédure pénale s'est peu à peu mâtinée d'accusatoire, le juge d'instruction notamment ne connaissant plus aujourd'hui qu'environ 7 % des affaires pénales soumises à jugement.

A l'opposé de notre système de justice, la justice anglo-saxonne, américaine pour aller vite, est une jus tice globalement accusatoire dont la philosophie peut se résumer ainsi : d'un duel judiciaire entre deux parties, arbitré par un juge passif, doit nécessairement sortir de la justice. Ce système, qui nous est présenté comme un modèle de modernité, trouve pourtant son origine dans une institution quelque peu bar bare : les «gages de bataille». Au cours d'un duel judiciaire, le dénonciateur et le défendeur se combattaient les armes à la main. Si le défendeur était vaincu avant que les étoiles apparaissent, il était pendu. En revanche, s'il gagnait ou n'était pas vaincu avant la fin du jour, il était acquitté. Les juges, pour leur part, se bornaient à ordonner le combat, à vérifier la régularité de son déroulement et à constater son résultat. Comme pour les ordalies, c'était en fait Dieu qui faisait se manifester la vérité.

C'est saint Louis qui, ne supportant pas les injustices résultant du duel judiciaire, a supprimé en France les gages de bataille au profit d'une procédure inquisitoriale qui donnait le pouvoir au juge de se faire une idée sur le procès par d'autres moyens que ceux amenés par les parties : une enquête ou bien l'audition de témoins. Alors que, confrontés à cette grave question de la culpabilité dès lors qu'on ne pouvait plus la poser directement à Dieu, les Anglais optèrent, plutôt que pour une recherche active de la preuve, pour l'institution d'un jury qui, après un duel cette fois oral, devait répondre par oui ou par non à cette question de la culpabilité.

Le système anglo-saxon, en ce qu'il reste essentiellement un duel, est donc toujours fondé sur la force, la supériorité de l'un sur l'autre, que cette force revête les habits de l'habileté procédurale ou du talent oratoire. Le postulat est, en gros, le suivant : la vérité sort de la bouche de celui qui a la dialectique la plus brillante et le tribunal ne peut que choisir entre les deux versions de la vérité que lui proposent les deux parties. Alors que, bien évidemment, le moins habile peut aussi avoir parfois raison et que la vérité peut fort bien ne pas avoir grand-chose à voir avec la version tant de l'une que de l'autre des parties.

Il n'échappe d'ailleurs à personne que cette supériorité au procès est en fait largement tributaire de la puissance financière des parties en cause. La justice américaine a ainsi donné à voir un certain nombre d'acquittements obtenus au prix fort par les meilleurs avocats tandis que croupissaient dans les couloirs de la mort quelques condamnés innocents qui n'avaient pas eu les moyens de se payer les services d'un bon avocat. Que dire en outre de la procédure du «plaider coupable» qui concerne la très grande majorité des accusés et du risque de pression qu'elle recèle sur une personne innocente, qui, en l'absence d'une défense de qualité, peut être fortement incitée à plaider coupable pour une infraction qu'elle n'a pas commise ?

Justice spectacle, familière de coups de théâtre à l'audience, la justice anglo-saxonne ne se préoccupe en outre en rien de toute la phase antérieure à l'audience, aux seules mains de la police et où aucune institution n'a le devoir ni le pouvoir de rechercher les preuves à charge mais aussi à décharge, ce qui est le rôle en France du juge d'instruction. Pour ne parler que des affaires dites politico-financières, ces affaires, qui ont toutes fait l'objet de très importantes instructions préparatoires, n'auraient jamais pu avoir lieu, dans un régime de procédure accusatoire, sous la forme somme toute assez complète sous laquelle elles se sont déroulées. Par ailleurs, malgré la grande complexité de ces affaires, les débats, grâce à des présidents d'audience très présents, furent plutôt clairs et accessibles à la très grande majorité. On imagine l'opacité de ces débats et la durée de tels procès devant la justice anglo-saxonne avec toutes ses conséquences en termes de manque de lisibilité et donc d'incompréhension sociale. Car, si la justice a une fonction privée, rendre à chacun son dû, elle a aussi un rôle essentiel de dévoilement social de la vérité et de réinscription, par le rite du procès, des interdits fondamentaux. Encore faut-il que le procès puisse être lisible et compréhensible par tous, ce qui est loin d'être le cas dans la procédure anglo-saxonne, compte tenu de la très grande complexité des règles de la preuve et du peu de place laissé à la victime.

Dans notre pays, l'accès à la justice est encore trop inégalitaire. On peut ainsi affirmer, en forçant à peine le trait, que seule la classe moyenne accède à peu près normalement à la justice. Les catégories sociales à très haut revenu préfèrent pour leur part recourir à une justice privée plus discrète, l'arbitrage, tandis que les classes à très bas revenu, qui ignorent souvent leurs droits, n'accèdent que fort peu à la justice.

Au lieu de lutter contre cette inégalité, toute américanisation de la justice ne fera que la renforcer.

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