L'attaque de l'ambassade américaine à Benghazi, berceau de la révolution libyenne, vient soudainement rappeler à Barack Obama qu'il reste fragile face au monde arabo-musulman. Il a suffit d'une vidéo, aussi médiocre soit-elle, pour raviver le sentiment anti-américain dans plusieurs pays. Un ambassadeur américain tué, des drapeaux des Etats-Unis brûlés en Egypte, des manifestations anti-américaines au Yémen, en Iran, en Irak, à Gaza, à Casablanca, à Tunis, à Khartoum... les images, fortes, rappellent la vague de colère suscitée par la publication de caricatures de Mahomet. C'était en 2005, c'était sous l'administration Bush. A l'époque, le président américain avait lancé sa "guerre contre le terrorisme", entraîné son pays dans deux guerres en Irak et en Afghanistan, avaient crispé les relations avec le monde arabe. A son arrivée au pouvoir, Barack Obama a rompu totalement avec la diplomatie erratique et va-t-en guerre de son prédécesseur. Il est parvenu à redorer l'image des Etats-Unis dans le monde. Malgré ses efforts, l'attaque contre l'ambassade américaine de Benghazi vient montrer que le déficit de confiance dans le monde musulman est tenace. Fruit de groupuscules minoritaires, d'extrémistes salafistes ou bien même d'un peuple arabe lui-aussi déçu, l'anti-américanisme n'a pas disparu. A moins de deux mois de l'élection américaine, la réaction de Barack Obama va être observée à la loupe.
Du discours du Caire aux révolutions arabes
Le discours du Caire, le 5 juin 2009, a constitué un événement majeur. En remettant au centre du débat le conflit israélo-palestinien et en tendant la main aux musulmans, le président américain fraîchement élu avait suscité l'espoir.
"Salam Alikoum", avait-il lancé, encouragé par les applaudissements de plusieurs milliers de personnes venues l'écouter. "Je suis venu ici au Caire en quête d'un nouveau départ pour les États-Unis et les musulmans du monde entier, un départ fondé sur l'intérêt mutuel et le respect mutuel", avait-il promis après avoir reconnu que "les mutations de grande envergure [...] ont poussé beaucoup de musulmans à voir dans l'Occident un élément hostile aux traditions de l'islam". Un constat amer qui trois ans plus tard résonne encore.
Si le président américain a soutenu les révoltes arabes en soutenant notamment l'intervention en Libye, la realpolitik a pris le pas, les actes n'ont pas suivis, l'état de grâce s'est achevé, la méfiance s'est creusée. Le think thank américain, Pew Research Center, a publié en juin dernier une étude montrant que la côte de popularité du prix Nobel de la paix 2009 dans les pays arabes avait chuté de neuf points entre 2009 et 2012. L'image des Etats-Unis ne s'en porte pas mieux : en 2009, ils étaient 25 % à avoir une opinion favorable du pays contre 15% en 2012.
La question israélo-palestinienne
Première pierre d'achoppement, la volte-face de Washington sur la question israélo-palestinienne. Elle était l'une des priorités du président américain, décidé à son arrivée à imposer le gel des colonies de peuplement pour ré-engager le processus de paix israélo-palestinien. Face à l'inflexibilité de Benjamin Netanyahou, il a dû y renoncer. En 2010, à la tribune de l'ONU, Barack Obama promet aussi un Etat palestinien libre et souverain et évoque –chose rare- les frontières de 1967. Las, de mois en mois, le discours se fait moins osé et en septembre 2011, il s'oppose à la reconnaissance d'un Etat palestinien à l'Onu sans négociations préalables.
Son quasi-silence aussi devant la répression au Bahreïn a laissé perplexe les observateurs. Mais c'est surtout les nombreux dérapages des troupes US en Afghanistan qui ont aussi entaché la présidence, sans pour autant que Barack Obama n'en soit responsable. Le 11 mars, un soldat a fait irruption dans plusieurs maisons de la province de Kandahar et a ouvert le feu sur ses habitants. Bilan: seize morts, dont des enfants, des femmes et des personnes âgées. Certains témoins ont évoqué plusieurs soldats éméchés, riants... "La plus grave attaque intentionnelle sur des civils en dix ans de guerre", s'était indigné le "Washington Post".
Un dérapage qui n'a fait qu'accroître le sentiment anti-américain, désormais quasi-général en Afghanistan, et qui dépasse l'influence des talibans. Une vidéo amateur diffusée sur You tube, tournée lors d'une opération, qui montrait quatre hommes hilares en uniformes urinant sur trois corps, ou plus récemment, la destruction d'exemplaires du Coran, ont attisé la colère de la population.
Réaction mesurée
Face à ce défi, Barack Obama a choisi d'être mesuré dans ses propos malgré l'urgence électorale. Interrogé par la télévision Telemundo sur les rapports entre Washington et l'Egypte, Barack Obama est resté prudent. "Je ne pense pas que nous les considérions comme des alliés, mais nous ne les considérons pas comme des ennemis. Il s'agit d'un nouveau gouvernement qui essaie de trouver sa voie. Ils ont été élus démocratiquement", a-t-il expliqué.
A propos de l'aide économique américaine au Moyen-Orient, il a insisté : "Les Etats-Unis ne peuvent se retire des affaires du monde, nous sommes la seule nation indispensable. Les pays du monde entier se tournent vers nous pour le leadership. Même les pays où parfois nous rencontrons de la contestation. Il est donc important pour nous de rester présents."
Dans le contexte de la campagne électorale, Barack Obama sait qu'il a beaucoup à perdre à prendre des décisions trop rapidement. Un échec dans la gestion de cette crise pourrait ternir encore plus son bilan. Et certains observateurs n'hésitent pas à comparer la situation actuelle à la présidentielle de 1980 où Jimmy Carter avait été privé d'un second mandat, en partie attribué à la crise des otages américains à Téhéran.