La pétition visant à l’interdiction des «robots tueurs»a connu un succès aussi spectaculaire qu’inattendu. Lancée dans la torpeur estivale, lors d’une conférence internationale sur l’intelligence artificielle, elle a reçu le soutien de chercheurs spécialisés, de personnalités éminentes du monde scientifique et de magnats de la Silicon Valley. Plus de 1 000 signataires demandaient l’interdiction des «armes autonomes offensives sans contrôle significatif d’un être humain». -- Ce texte s’inscrit dans la continuité de publications émanant des auteurs ou de certains signataires (Stephen Hawking) de la pétition. Selon eux, les progrès de l’intelligence artificielle risquent d’entraîner le dépassement de l’homme par la machine, la «singularité» dans les termes de Ray Kurzweil, philosophe préféré des entrepreneurs californiens. Mais la pétition n’est pas exempte de corporatisme. C’est ainsi que le texte insiste, in fine, sur le risque de voir l’apparition de robots tueurs entacher la réputation de l’intelligence artificielle et amoindrir le soutien de l’opinion publique avec les conséquences budgétaires que l’on peut imaginer. Enfin, sur le fond, la demande d’interdiction met en avant une argumentation tout à fait spécifique. -- L’argumentation et la conclusion sont ainsi très différentes, pour ne pas dire plus, de celles des ONG qui portent traditionnellement la demande d’interdiction des robots tueurs. Pour ces organisations, Human Rights Watch notamment, le rejet des armes autonomes procède de la conviction que l’intelligence artificielle, en dépit de ses progrès, sera toujours incapable d’intégrer et de mettre en œuvre les principes élémentaires du droit international humanitaire. Ce n’est pas parce que l’intelligence artificielle est trop avancée qu’elle est condamnable mais parce qu’elle ne le sera jamais assez. L’interdiction demandée doit être totale et ne supporte pas d’exception. -- Peut-on faire du bon droit avec de bons sentiments ? Nul ne conteste aux spécialistes de l’intelligence artificielle le droit à prendre parti contre les applications qu’ils jugent non désirables des progrès scientifiques auxquels ils contribuent. Encore faut-il bien se rendre compte que le passage de la pétition à la loi suppose un processus de création normative dans lequel les bons sentiments et les connaissances scientifiques ne suffisent pas.