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    Analyse

    Messageries instantanées : les «bots» se font passer pour vos potes

    Par Christophe Alix
    Messageries instantanées : les «bots» se font passer pour vos potes
    Messageries instantanées : les «bots» se font passer pour vos potes Illustration Vincent Poinas pour «Libération»

    Ces robots commerciaux qui interagissent avec les usagers s’infiltrent dans les espaces de discussion. Un nouvel eldorado pour la Silicon Valley.

    «Bonjour Christophe, je suis un robot et j’adore les humains, vous n’avez qu’à me donner votre ville, votre destination et la date de départ, ensuite je m’occupe de trouver les meilleurs prix pour vos trajets en train.» Le «chatbot» (contraction de «chat» et «bot», pour robot) de Voyages-SNCF est aussi direct que concis lorsque, titillé par la curiosité de tester l’étendue de son bagout algorithmique, l’utilisateur de Messenger se décide à engager un brin de causette avec lui. Moins d’une minute plus tard, «voilà qui est fait !» annonce le robot social sur la messagerie de Facebook comme s’il était un agent du service client : le Paris-Nice est réservé avec une option de 24 heures, à régler sur le site de la filiale de la SNCF. «Merci, trop cool», répond-on en forçant le trait. «Oh, c’est gentil ! Arrêtez, vous me faites rougir.»

    Nous entrons dans l’ère du «commerce conversationnel» automatisé, aussi convivial et spontané que sait déjà l’être une intelligence artificielle. Disponible depuis quelques jours sur Messenger, cette nouvelle fonctionnalité du «bot» de la filiale de la SNCF est la plus avancée à ce jour en France. Un simple test à ce stade, prévu pour durer un mois. Mais la suite est déjà connue : très vite, il sera possible de payer son billet sans sortir de la messagerie grâce à l’outil de paiement que Facebook a déjà mis en place outre-Atlantique.

    «Relation client ininterrompue»

    Ces «bots» ont déjà une longue histoire dans les laboratoires de recherches. Et depuis quelque temps déjà, le grand public a pu faire connaissance avec ces assistants virtuels utilisés de manière basique par des entreprises de services (opérateurs télécoms, VPCistes, etc.) comme aide à la relation client en ligne. Ce qui est nouveau, c’est l’idée de les intégrer directement dans les messageries. Des applications parmi les plus populaires, notamment chez les jeunes, à raison d’une utilisation moyenne de cinquante minutes quotidiennes. Comme le décrit le philosophe Eric Sadin (1), «c’est une tentative de nouveaux liens commerciaux qui correspondent à la "relation client ininterrompue". […] Ces dialogues humains-robots vont permettre d’affiner la connaissance des consommateurs».

    L’expérimentation a pris un tour pour le moins massif ces derniers mois. Depuis l’ouverture par Facebook, en avril, de Messenger à ces robots sociaux, leur nombre a explosé. La Silicon Valley, à l’affût de tout ce qui touche à l’intelligence artificielle et à ses progrès fulgurants dans les interfaces en langage naturel, s’interroge sur cette possible prochaine révolution d’Internet. En quelques mois, il s’en est créé 34 000 sur Messenger. Consultation de la météo, information (CNN, Wall Street Journal), commande d’un bouquet de fleurs, d’un repas, d’un VTC ou d’un billet d’avion, conseil financier ou de santé, plus besoin de sortir de son espace de discussion pour interagir avec ces robots. En France, outre Voyages-SNCF, l’assureur Axa, le site de rencontres Meetic, le quotidien 20 Minutes ou encore la Société générale, qui doit lancer prochainement son bot, s’initient à cette nouvelle manière de s’adresser aux consommateurs. «La plupart en sont encore un peu au 1,2,3,4,5 des serveurs locaux interactifs avec des capacités encore limitées, reconnaît Thomas Husson, analyste chez Forrester, qui vient de sortir une étude sur le sujet. Mais plus on les sollicite, plus ces algorithmes se peaufinent et gagnent en pertinence. Ces applications d’intelligence artificielle n’en sont qu’à leurs débuts, mais elles sont programmées pour progresser très vite.»

    Vantées par les géants d’Internet pour leur simplicité d’usage et leur «langage émotionnel» intégrant les émojis et stickers - «Vous n’avez pas à télécharger, à vous inscrire, à créer un nom d’utilisateur et un mot de passe, tout est dans une même conversation», énumère David Marcus, vice-président chargé des messageries chez Facebook -, ces nouvelles mini-applications «invisibles» pour l’utilisateur présentent l’avantage d’être peu coûteuses à développer. Lors de la conférence de Microsoft annonçant leur arrivée sur sa messagerie Skype au printemps dernier, l’éditeur de logiciels a par exemple fait la démonstration d’un bot développé en soixante minutes chrono. «A la différence des applications conçues pour les boutiques d’Apple ou Android, dont le coût d’entrée technologique peut être très élevé, c’est une alternative très raisonnable pour nouer des relations avec ses clients sur le mobile, témoigne François Bitouzet de Voyages-SNCF. Or, ce dernier a changé la donne, il représente aujourd’hui par exemple 60 % de notre audience. Le commerce mobile n’est plus une opportunité mais une réalité.»

    Défi redoutable

    Une révolution des usages qui place Facebook en position de force. Avec ses deux messageries (Messenger et WhatsApp, rachetée pour la bagatelle de 21,9 milliards de dollars en 2014) comptabilisant chacune un milliard d’inscrits, l’empire de Mark Zuckerberg apparaît comme l’acteur le plus avancé d’un marché mobile dans lequel, selon l’institut Gartner, 40 % des interactions auront lieu entre humains et bots à l’horizon 2020. «Ces plateformes engloberont à terme quantité de services au travers des bots afin de maximiser l’expérience de leurs utilisateurs, dont le nombre dépasse déjà les 3 milliards», prédit Thomas Husson. Un défi redoutable pour Apple et Google, qui se partagent le marché de la distribution d’applications - dont celles de Facebook ! -, lequel pourrait chuter de moitié d’ici quatre ans… D’après le baromètre trimestriel de la Mobile Marketing Association, les mobinautes français n’utilisent que cinq applications en moyenne. Livré avec iMessage, l’iPhone multiplie les passerelles entre sa messagerie et d’autres services maison comme Apple Music ou Safari afin de pouvoir les utiliser sans sortir de l’application. Déjà largué dans les réseaux sociaux après l’échec de Google +, Google vient de se réveiller en lançant Allo, une application de messagerie dotée d’un agent virtuel conversationnel. Mais tous deux restent des nains comparés à Facebook, dans un marché déjà saturé. La guerre qui s’amorce entre ces mastodontes pour imposer leurs écosystèmes s’annonce féroce.

    «Toutes les messageries cherchent désormais à reproduire le modèle du chinois WeChat en se transformant en "super-apps" dont l’audience dépassera à terme celle des réseaux sociaux», explique Thomas Husson. L’exemple chinois a de quoi les faire saliver, et montre à quoi pourrait ressembler une société sans liquide ou presque, où tout pourrait se régler via mobile et en quelques clics. Dans ce pays où l’implantation des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) a été bloquée, une seule «super-app» fréquentée quotidiennement par 600 millions de mobinautes réunit tout.Propriété de Tencent, WeChat, né en 2011, est bien plus qu’une messagerie instantanée. Il s’agit d’un écosystème tentaculaire qui, pour les 300 millions de ses usagers ayant déjà relié leur compte en banque, permet de faire des achats et de régler ses factures, de transférer de l’argent entre particuliers, etc. Lors du dernier nouvel an chinois, WeChat a enregistré en une seule journée plus de transactions que Paypal pour toute l’année 2015. Le bot de McDonald’s y compte 11 millions d’inscrits, celui de la marque de prêt-à-porter japonaise Uniqlo 2 millions et la quasi-intégralité des cartes d’abonnement aux transports des grandes villes sont acquittées via WeChat. «La vie familiale et sociale, les liens professionnels et la consommation sont comme fusionnés au sein d’une seule application, témoigne un cadre français expatrié à Shanghai. Presque plus personne ne s’imagine vivre sans WeChat.»

    «Messages sponsorisés»

    Le tout premier des enjeux pour Facebook sera de ne pas rebuter les centaines de millions d’accros à Messenger, qui n’ont jamais entendu parler de ces robots. Pas question de les laisser «pourrir» sa colossale audience : c’est aux utilisateurs de faire le premier pas. Polis, les bots ne répondent que si l’on engage la conversation. La chaîne d’hôtellerie Marriott, qui avait inondé les boîtes Messenger de ses clients, a vite compris à quel point cette invasion était contre-productive: en deux heures, le système était débranché. Mais Facebook ne manque pas d’idées pour assurer la promotion de ces robots. On peut déjà les partager dans des conversations privées et un «bot store» ne tardera sans doute pas à voir le jour. Le réseau social s’apprête surtout à les ouvrir à la publicité et vient de fixer les règles que les bots devront respecter afin de pouvoir «réengager les gens dans des conversations existantes et à travers des messages sponsorisés».

    Avec 55 millions d’entreprises qui «possèdent» leur page, Facebook fait le pari que, d’ici quelques années, la présence des marques sur Messenger sera aussi naturelle qu’elle l’est déjà sur son réseau social. De quoi décupler une «monétisation» de l’audience dans laquelle Facebook est passé maître. «On le voit encore comme un réseau social où l’on poste ses photos de vacances mais, en réalité, Facebook l’est de moins en moins, fait remarquer Philippe Collombel de Partech Ventures, un investisseur en capital-risque. C’est déjà devenu la principale plateforme de diffusion et de consommation de médias au monde, et il ambitionne maintenant, grâce à l’intelligence artificielle, de s’imposer comme interface client universelle. C’est un renversement complet de perspective par rapport à l’idée que les gens s’en font encore.»

    (1) Auteur de la Vie algorithmique, critique de la raison numérique, l’Echappée, 2015.

    Christophe Alix
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