Le Parti socialiste à l'épreuve des européennes
L'adoption d'une stratégie et d'un projet rassembleurs pour le scrutin de mai est un véritable casse-tête, qui creuse encore le fossé entre les socialistes.
Par Marylou MagalLa scène se passe mardi dernier au bureau national (BN) du Parti socialiste. Le ton monte entre Stéphane Le Foll, ancien ministre de François Hollande, et Emmanuel Maurel, tenant de l'aile gauche. On s'en doute, les deux anciens candidats à la présidence du parti ne s'entendent pas. Emmanuel Maurel entend dresser le bilan sévère des années Hollande et rompre totalement avec la ligne de l'ancien président. Stéphane Le Foll, lui, compte bien refaire de la social-démocratie un élément-clé du parti. Après quelques vifs échanges, Stéphane Le Foll, excédé, claque la porte du bureau national. Avant même d'avoir voté le texte-étape « Europe », objet même de la réunion. « Il y a des gens qui se détestent depuis tellement longtemps que c'est un peu compliqué », commente, fataliste, un membre du BN. Et un autre de constater : « Il y a quelque chose d'irréconciliable entre leurs deux positions... »
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Pourtant, chez les socialistes, l'heure du divorce n'a pas sonné. Pas encore. Pour l'instant, le parti à la rose veut se concentrer sur son projet européen. Le texte-étape, voté – tout de même – en bureau national, dresse le constat d'une Europe prise en étau entre le libéralisme dominant et le nationalisme. « Plus que jamais, la gauche est l'avenir de l'Europe », affirment ceux qui citent François Mitterrand sur une Europe qui « sera socialiste ou ne sera pas ».
« Ce texte répond à l'intérêt général d'une gauche de gouvernement, qui a envie de se battre sur un projet crédible », renchérit Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. Boris Vallaud, porte-parole du parti, salue un projet de « rupture radicale » et cite les quelques grands combats que mèneront les socialistes : la lutte contre les inégalités, contre le changement climatique, et la prise en compte des questions sociales et migratoires.
Peu importe, personne ne lira le manifesto.
Pourtant, si audacieux et de gauche ce texte soit-il, il ne fait pas l'unanimité. Les dirigeants déplorent plusieurs abstentions, de Stéphane Le Foll donc et de quelques-uns de ses camarades, mais aussi d'Emmanuel Maurel, de Marie-Noëlle Lienemann, ou encore de Julien Dray, qui jugerait le texte « fourre-tout ».
Chez les tenants d'une gauche plus radicale, plusieurs points abordés au cours de la réunion posent problème. « Nous voulons un droit de regard sur le Spitzenkandidat [la tête de liste au niveau européen, NDLR], affirme Élodie Schwander, membre du bureau et proche d'Emmanuel Maurel. Un candidat slovaque, qui a passé un accord avec l'extrême droite dans son pays, vient d'être validé. S'il venait à être le candidat du PSE (Parti socialiste européen), nous voulons pouvoir nous retirer. Or, c'est une ligne rouge pour Olivier Faure, qu'il se refuse à franchir. » Le même problème se pose pour le « manifesto », le programme commun aux partis socialistes européens. Les dissidents de l'aile gauche défendent la possibilité d'acter des ruptures programmatiques, si le manifeste ne correspond pas aux idéaux socialistes. Réponse, selon eux, d'Olivier Faure : « Peu importe, personne ne lira le manifesto. »
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Au-delà des désaccords de fond, certains soupçonnent la direction socialiste de ne pas faciliter la tâche aux députés européens les plus radicaux. Sur la question du calendrier, notamment. « La réunion principale pour l'élaboration du texte avait lieu jeudi 13 septembre, à 10 heures, alors que les votes au Parlement européen étaient à 11 heures... indique une cadre socialiste. Et cela s'est passé plusieurs fois. On nous dit qu'on ne peut pas caler le calendrier sur l'agenda de chacun. Mais on se demande souvent si ce n'est pas fait exprès. »
Menace
Des problèmes d'agenda qui masquent la menace de plus en plus pesante d'une scission. Le bruit courait déjà, fin août, qu'Emmanuel Maurel pourrait rejoindre la liste de La France insoumise. Des rumeurs, à ce stade. « Je reviens avec une belle envie de me battre pour mes idées », affirmait alors le député européen. De se battre au sein du PS ? « Nous voulons peser sur la ligne du PS, soutient Élodie Schwander. Si toute possibilité de discussion est rompue, on verra ce qui se passera, mais, pour l'instant, nous sommes socialistes, nous militons et nous travaillons avec eux. »
Chez les dirigeants, la tolérance diminue de semaine en semaine et on dénonce un « chantage au départ de la minorité ». « Certains adoptent la position suivante : Je suis au PS, mais je menace de partir dès que je suis minoritaire, analyse Patrick Kanner. Notre parti a une majorité nette, tranchée lors du dernier congrès, et une minorité qui peut s'exprimer. J'espère toutefois que cette minorité acceptera le choix de la démocratie, car, sinon, nous n'avons plus rien à faire ensemble. »
Les prochaines semaines seront donc décisives. D'autant que le choix de la tête de liste nationale doit encore être tranché. Comme toujours, plusieurs noms circulent encore. Pierre Moscovici, Julien Dray, Bernard Cazeneuve, et même Emmanuel Maurel, soutenu par Martine Aubry, sont des candidats potentiels. « Cette tête de liste sera très importante, soutient Patrick Kanner, car il y a d'un côté le projet, mais aussi l'incarnation. Et celle-ci est primordiale pour le modeste parti que nous sommes devenus. » Incarner un projet « de rupture » et rassembler toutes les chapelles du parti. Tel sera le rôle à jouer de la tête de liste pour éviter la dislocation du Parti socialiste.