Source [Le Salon Beige] De Francis Bergeron dans Présent :
Piketty, tout le monde connaît, au moins de nom. Issu d’un milieu très engagé à l’extrême gauche, tendance Arlette Laguiller, cet économiste a développé des théories fiscales tirées d’observations statistiques qu’il estimait crédibles. Ces théories ont été plus ou moins incorporées au programme des têtes de liste socialistes, ces vingt dernières années. Rocard, Strauss-Kahn, Hollande, Hamon ont fait grand cas de ses préconisations « pour un monde moins inégalitaire ».
En 2013, Piketty publiait un pavé que peu de gens ont lu, mais que de nombreux hommes de gauche se sont crus obligés d’acheter : Le Capital au XXIe siècle. Ce fut donc un beau succès de librairie. Le livre était très épais, assez cher à l’achat. Il présentait tous les gages visuels du sérieux. Très schématiquement, notre économiste prétendait démontrer que le monde allait vers toujours plus d’inégalités, et il offrait quelques pistes fiscales pour mettre fin à cette dérive.
Mais les travaux du World Inequality Lab, un laboratoire économique auquel Piketty apporte tout son concours, réduisent en miettes la vision de celui qui passe toujours pour l’économiste en chef de la gauche néo-marxiste.
Ce laboratoire a en effet publié, le 25 septembre, une étude qui compare l’évolution des inégalités dans deux pays occidentaux, habituellement présentés l’un comme le plus pro-entreprises et donc le plus inégalitaire de la planète, à savoir les Etats-Unis, l’autre comme l’un des plus taxateurs et fiscalisés – et en théorie le plus égalitariste d’Europe –, en l’occurrence la France.
Et savez-vous ce que démontre cette comparaison ? Que celui des deux qui fait la part la plus belle au capitalisme et à l’esprit d’entreprise est aussi celui où les inégalités se réduisent le plus rapidement, tandis que notre cher vieux pays, avec son secteur public obèse, sa fiscalité confiscatoire (surtout pour les classes moyennes, celles qui ne peuvent se payer un fiscaliste), et ses systèmes de protection sociale systématiquement redistributifs, maintient, lui, voire accroît ces inégalités.
Non, ce n’est pas dans Valeurs actuelles ou dans les pages saumon du Figaro, ni dans L’Hebdo Bourse Plus de Nicolas Miguet que l’on peut lire cet étrange bilan, mais dans le think tank (réservoir à idées) de Piketty, bilan d’ailleurs commenté avec grand étonnement (mais sans en contester la validité) dans les pages économiques du Monde. Ces pages économiques qui, autrefois (les années soixante-dix) étaient aux mains de marxistes des plus orthodoxes. Les journalistes du Monde se livrent néanmoins à quelques contorsions sémantiques pour éviter d’écrire noir sur blanc que le modèle socialiste ou socialisant français est contre-productif et accroît de fait les inégalités, quand le modèle américain profite à tous et permet d’améliorer l’égalité des chances, et donc ce fameux « ascenseur social » dont tout le monde rêve, mais qui, chez nous, semble en panne depuis « les Trente Glorieuses ».
L’étude comparative du think tank est donc passionnante, en ce sens qu’elle vient renforcer le discours de Reagan, hier, de Donald Trump aujourd’hui. Et les commentaires du Monde, se dégustent avec délectation : « A y regarder de plus près, le système social et fiscal américain est, étonnamment, plus redistributif que son équivalent français. » Le ratio des inégalités a en effet baissé de 34 % aux Etats-Unis et seulement de 23 % en France, sur les trente dernières années. « La moindre performance redistributive du système tricolore tient à la structure de ses prélèvements obligatoires », note encore Le Monde, qui titre sur « les faiblesses du système français » par rapport au système américain.
C’est qu’aux Etats-Unis, cette réduction des écarts s’est opérée dans le cadre d’un enrichissement général, tandis qu’en France nous vivons un net mouvement de paupérisation des catégories moyennes. Mais cette passion de l’égalité ne contribue-t-elle pas largement à la paupérisation presque générale ?
L’étude explique qu’en France, du fait de cet appauvrissement et de la stagnation de l’emploi et des salaires, une partie notable de la population consomme l’essentiel de ce qu’elle gagne, et n’épargne donc pas. De ce fait, même si les personnes aux revenus plus modestes sont dispensées d’impôts directs, les impôts indirects, qui reposent sur les produits de consommation (TVA, taxes sur le carburant etc.) pèsent beaucoup plus lourd pour eux, en proportion de leurs revenus disponibles.
Le think tank présente des tableaux sur 25 ans, qui permettent de visualiser ces évolutions et qui démontrent la justesse de ces analyses. Par ses fiscalisations, ses taxations, sa socialisation, en bref, la France a fait fausse route.
Mais du même coup la théorie du ruissellement (l’enrichissement de certains profite à tous, par « ruissellement ») qui a tant fait ricaner la gauche, trouve d’une certaine façon, indirectement, son illustration dans cette étude. Les inégalités que ne supporte pas la gauche sont réduites non par les taxes et les impôts, c’est-à-dire la redistribution étatique, mais par l’enrichissement et la croissance. Autrement dit, si l’Etat réduisait son train de vie et les impôts et taxes indirects en découlant, à commencer par la TVA, qui est en fait le plus lourd des impôts, les inégalités diminueraient, dans un contexte général d’accroissement du pouvoir d’achat pour tous.
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