Les élections provinciales auront lieu en octobre au Quebec, un étudiant breton qui vit là-bas se définissant comme communiste libertaire et signant "La Colonne Bonaventure" nous a proposé cet article qui souhaitait informer le public breton et français des réalités du terrain sur l'indépendantisme et le socialisme, assez méconnus en fin de compte, et sur les élections québecoises et canadiennes. Nous le remercions vivement. Son analyse n'engage que lui mais intéressera sans doute beaucoup de lecteurs et lectrices pour qui l'indépendantisme Québecois est un référent historique.Bretagne-Info.
Québec : indépendance, socialisme et Trumpisme en ce début de 21ème siècle
Le Québec est l’une des principales références contemporaines francophones des luttes pour l’indépendance. Mais depuis les victoires obtenues par le peuple québécois dans les années 60 et 70 face à l’hégémonie culturelle et économique anglo-canadienne et le très célèbre « vive le Québec libre ! » de De Gaulle en 1967, qu’en-est-il désormais du mouvement indépendantiste québécois et de ses revendications ?
Commençons pour des rappels historiques. Le Québec, comme de nombreux pays du monde en cette période de décolonisation, n’échappa pas à l’explosion des mouvements de libération nationaux des années 60/70. Contrairement à des nombreux cas, ce mouvement, connu sous le nom de « Révolution Tranquille », fut essentiellement pacifique (avec l’exception notable du FLQ) bien que radical dans ses revendications. Dès les années 50, des leaders syndicaux, tel que Michel Chartrand, pousse la classe ouvrière, non seulement québécoise mais aussi canadienne, à se doter d’un organe politique afin de canaliser l’effervescence présente dans les masses. Ce fut chose faite en 1961 lors de la création du Nouveau Parti Démocratique (NPD), parti qui existe toujours de nos jours. Cependant, très rapidement l’anglo-chauvinisme des leaders anglo-canadiens de gauche poussera le parti à l’éclatement entre socialistes franco-canadiens d’un côté et les anglo-canadiens de l’autre, ces derniers conservant le contrôle du NPD. Les travailleurs québécois, isolés culturellement sur le continent nord-américain, n’aurons d’autres choix que de s’allier avec les classes moyennes et capitalistes francophones locales afin de défendre leurs intérêts économiques et culturels. Tout ceci se concrétisera dans la naissance du célèbre Parti Québécois (PQ) en 1968. Dans cette ambiance explosive, ponctuée par la trop souvent oubliée grève générale du Québec de 1972, et sous la direction de René Lévesque, le PQ gagnera les élections provinciales de 1976. Durant cette « Révolution Tranquille », plusieurs mesures révolutionnaires seront prises, comme la fameuse loi 101 ou Charte de la Langue Française en 1977, imposant le français comme seule et unique langue officielle de la province (contrebalancé par un bilinguisme officieux), la nationalisation de l’électricité sous le contrôle de Hydro-Québec amorcée dès 1944 et complétée en 1962, et finalement deux référendums sur l’indépendance, l’un en 1980 (59% pour le fédéralisme) et un autre en 1995 (50,58% contre l’indépendance).
Bien qu’il ait pu sembler exister une unité nationale autour du PQ, la lutte des classes reprit le dessus et, comme de nombreux mouvements indépendantistes bien engagés avant lui, le PQ prit un virage à droite. Il faut bien rappeler le caractère « incestueux » du PQ, dans lequel cohabitait des syndicalistes révolutionnaires et des conservateurs. René Lévesque, le dirigeant du PQ, aurait lui-même déclaré qu’il « aimerait mieux vivre dans une république bananière d’Amérique du Sud que dans un Québec dominé par les délires des syndicats ». Le PQ avait donc essentiellement été poussé par une base militante populaire extrêmement combattive plus que par ses cadres, provenant souvent de l’aristocratie francophone du Québec. De tels contradictions ne tardèrent pas à se concrétiser et en 1983, le PQ adopta la répugnante loi 111, ou « loi matraque », qui permettait en cas de prolongement d’une grève d’imposer des pertes de salaires et d’ancienneté aux employés, ou simplement de congédier les plus récalcitrants sans droit de recours ou d’appel. La loi 105, adoptée un peu plus tôt, suspendait de plus le droit de grève pour les fonctionnaires. Pour la première fois depuis la fondation du parti, une manifestation fut dirigée contre René Lévesque et le PQ. Le parti avait prouvé qu’il était capable de faire le travail historiquement réservé aux partis anglo-canadiens et aux libéraux : soumettre les travailleurs québécois aux intérêts capitalistes. Cependant, en l’absence de parti réellement socialiste au Québec et de l’existence de racines originelles communes entre le PQ et le syndicalisme québécois, les principaux syndicats ont continué jusqu’à nos jours à démontrer une infatigable, mais mal récompensée, loyauté envers le PQ.
Qu’en est-il aujourd’hui ? A la veille d’élections provinciales, le Québec se retrouve dans une situation similaire à celle de nombreux pays occidentaux : le bipartisme s’écroule. Alors que couramment le PQ et les libéraux combinaient à eux seuls près de 80% des suffrages, les derniers sondages indiquent qu’ils en obtiendraient moins de 50. Les causes sont multiples. Tout d’abord, le Parti Libéral du Québec, après des années au pouvoir et les échecs répétées de ses politiques, que ce soit pour contenir la crise de 2008 ou tout simplement défendre les intérêts des travailleurs, ne peuvent s’en prendre qu’à lui-même. Du côté indépendantiste, ayant perdu la confiance des masses, le PQ s’est engagé sur la pente glissante de l’identité nationale, avec des mesures anti-musulmans et anti-réfugiés, bien éloignées d’un indépendantisme socialiste, pour tenter de trouver un second souffle. Cependant là n’est pas le pire pour le mouvement québécois.
Un ancien péquiste, François Legault, a fondé en 2011 la Coalition Avenir Québec (CAQ). François Legault est un riche homme d’affaire québécois, fondateur de la compagnie aérienne AirTransat, qui surfe sur la vague nord-américaine du « businessman politicien ». A l’instar de Trump, Legault allie promesses démagogiques aux travailleurs et appui décomplexé envers le patronat, tout en répétant la rengaine désormais classique sur la bureaucratie vampirique. Son programme est simple : privatisation de l’éducation et des garderies, « modernisation des syndicats », quotas d’immigration couplé d’un « examen de connaissance de valeurs québécoises », réductions de délais pour démarrer un projet minier, attirer les capitaux étrangers et « libérer la force de nos entrepreneurs », « encourager la participation au marché du travail le plus longtemps possible » des travailleurs âgés, abolir des emplois dans les entreprises d’Etat tels que Hydro-Québec, le tout accompagné de son florilège de remarques Trumpesques : les femmes seraient moins regardantes que les hommes sur les salaires, les jeunes québécois devraient s’inspirer de l’esprit travailleur asiatique, sans oublier que « les syndicats ont le droit de grève, mais c’est un droit de grève qui est, disons, théorique parce que ça finit à répétition avec des projets de loi spéciaux » ! Malgré cela, la CAQ est en tête des sondages avec près de 32% des intentions de vote et risque bien de remporter les élections provinciales, ce qui serait un coup terrible pour le Québec et le socialisme. Pour ce qui est de l’indépendantisme, la CAQ l’a simplement abandonné et se limite à revendiquer « plus d’autonomie pour le Québec à l’intérieur du Canada ». Cependant, peut-on réellement blâmer le Québec alors qu’il se retrouve isolé avec Trump au Sud, dont la réputation n’est plus à faire, et Doug Ford, l’ex-conseiller municipal de Toronto récemment élu premier ministre de l’Ontario, à l’ouest, dont les premières mesures ont été d’annuler des centaines de projets d’énergies renouvelables ainsi qu’un projet pilote de revenu universel, tenter d’empêcher les professeurs d’éducation sexuelle d’enseigner la théorie du genre, menacer des couper les subventions aux universités ne soutenant pas le « free speech » de présentateurs « controversés » et s’opposer à l’interdiction des armes de poings à Toronto tout en augmentant les fonds alloués à la répression policière.
Un seul petit espoir subsiste, c’est Québec Solidaire (QS). Ce parti, fondé en 2006 et né d’une scission de la frange gauche du PQ, bien que loin d’être révolutionnaire ou de s’assumer pleinement socialiste, est ce qui apparaît le plus à gauche dans le courant indépendantiste québécois. Plusieurs mesures phares de leur programme le démontrent clairement : assurance dentaire universelle, transports publics à moitié prix, rédaction démocratique d’une Constitution qui servirait de base à un Québec indépendant, gratuité scolaire complète jusqu’au doctorat, rémunérations des stages, augmentation du salaire minimum à 15 dollars. Malheureusement, malgré un dynamisme certain et une campagne agressive, le parti n’obtient péniblement que 16% des intentions de vote.
Quel sera donc l’avenir pour le Québec, son indépendance et son socialisme ? Qu’adviendra-t-il du moribond Parti Québécois ? La CAQ va-t-elle triompher et retarder de plusieurs années les avancées sociales du pays, si ce n’est pire ? Ou assisterons-nous à une agréable surprise avec Québec Solidaire qui pourrait paver la voie à un renouveau du socialisme indépendantiste québécois ? Nous ne pouvons qu’espérer que dans le cas d’une victoire de la CAQ, les socialistes indépendantistes québécois sauront prodiguer le soutien constant qui sera nécessaire afin de traverser cette période troublée.
La Colonne Bonaventure
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Chartrand
https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_québécois
https://www.marxiste.qc.ca/analyses/780-le-marxisme-et-la-question-nationale-au-quebec.html
https://marxiste.qc.ca/nouvelles/quebec/795-comment-stopper-la-caq.html
https://coalitionavenirquebec.org/fr/
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1036514/construction-opposition-partagee-projet-loi-speciale
https://www.theglobeandmail.com/canada/article-doug-ford-year-one-ontario-premier-explainer/