§ <MOIS=" 200601"><JOUR=" 20060131"><HEURE="2006013118"> Juin 2000. Le sénateur John McCain adversaire de George W. Bush pour l'investiture républicaine à la présidentielle doit répondre à la question d'un journaliste facétieux. " Que ferais-je si M. Greenspan devait mourir? Dieu nous en garde! ( Mais alors), je lui mettrais une paire de lunettes de soleil et le maintiendrais droit, bien assis à son bureau, aussi longtemps que possible." Hilarité dans la salle. Cinq ans et demi plus tard, l'éclatement de la bulle Internet, l'explosion du déficit extérieur américain et une complaisance certaine pour les baisses d'impôts massives de l'administration Bush ont fait un peu pâlir l'étoile d'Alan Greenspan. En août 2005, pourtant, Brad Sherman, un représentant démocrate, plaidait encore en faveur d'une loi d'exception qui aurait permis au tout-puissant président de la Réserve fédérale la Fed de rester cinq années de plus à son poste. L'intéressé, qui aura 80 ans en mars, s'en montra irrité. "Mon épouse a-t-elle le droit de se prononcer sur ce texte ?" Au final, M. Greenspan, qui occupe son poste depuis plus de dix-huit ans, le quitte le 31 janvier. George Bush lui a trouvé un successeur, Ben Bernanke, un brillant universitaire. Lors de l'annonce officielle à la Maison Blanche, en octobre, Alan Greenspan était présent. Il n'a pas dit un mot, arborant juste un petit sourire satisfait. L'homme a acquis au fil des ans une influence et une aura sans équivalents dans le monde économique international. Treize personnes ont dirigé la Fed depuis sa création, en 1913, aucune avec autant de succès pour contenir l'inflation et le chômage, les deux objectifs fixés par la loi à la politique monétaire américaine. Surnommé le "Maestro" il est passionné de musique , Alan Greenspan a permis aux Etats-Unis de traverser de multiples crises, du krach boursier d'octobre 1987 à l'effondrement du fonds spéculatif LTCM (Long Term Capital Management) en 1998, en passant par les attaques terroristes de septembre 2001 et les scandales comptables en série à Wall Street en 2002. Un sondage de 2004 montrait que les Américains lui faisaient plus confiance qu'à George Bush ou à son adversaire démocrate John Kerry. Sa seule présence, dit-on, rassure les grands financiers de Wall Street comme les petits épargnants. Le chroniqueur du magazine Vanity Fair, Christopher Hitchens, le dépeint comme "un comptable lugubre avec d'épaisses lunettes et une tête de souris, qui cache bien son jeu". Les discours à double ou triple sens sont devenus sa spécialité. On lui prête un humour à froid dévastateur. "J'ai appris à marmonner avec une grande incohérence", souriait-il un jour. Voilà pour la légende. Le personnage a d'autres facettes, bien moins connues. C'est aussi un "politique" ambitieux, très habile, séducteur, idéologue. Il a assidûment fréquenté, vingt ans durant, le salon littéraire new-yorkais d'Ayn Rand, écrivaine russe, philosophe, anticommuniste farouche et théoricienne du libéralisme. La dame l'a profondément influencé. "Ayn Rand m'a montré que le capitalisme n'est pas seulement efficace, il est moral", expliquera-t-il. La philosophe est adepte du darwinisme social, hostile à toute forme de charité ou d'aide aux plus faibles. Elle prône l'individualisme et la poursuite de l'intérêt personnel. Favorable à la disparition de l'Etat, elle est l'icône des ultraconservateurs américains. Quand Gerald Ford le nomme en 1974 à la tête du Conseil économique de la Maison Blanche, Alan Greenspan n'invite que deux personnes à la cérémonie, sa mère et Ayn Rand. Président de la Fed, il recommande de faire des lois économiques et des institutions publiques "temporaires". Le sénateur démocrate Paul Sarbanes s'emporte, l'accuse de "jouer avec le feu", lui demande si la Réserve fédérale est concernée. Alan Greenspan répond par l'affirmative. "Vous voulez dire que la Fed devrait disparaître ?", interroge l'incrédule sénateur. "C'est exact, monsieur", répond Alan Greenspan. "Et le département de la défense ?", insiste le démocrate. "Idem", rétorque le président de la Fed. "Etes-vous pour le retour à l'étalon-or ?", lui demande-t-on encore. "Je l'ai recommandé depuis des années. Mais cette proposition ne recueillerait qu'un seul vote favorable au Comité de politique monétaire, le mien." M. Greenspan a commencé sa vie professionnelle comme saxophoniste de jazz, suivant les cours de la prestigieuse Juilliard School de New York. Il s'intéresse à l'économie quand il comprend qu'il ne deviendra jamais le musicien qu'il rêvait d'être. En 1954, après un passage par les universités de New York et Columbia, il débute une lucrative carrière de consultant. Il crée son propre cabinet avec un ami. Le succès est rapide. Des entreprises comme US Steel et JP Morgan utilisent les services de ce jeune financier qui devient vite un expert reconnu. Mais ses ambitions vont au-delà de Wall Street. Les anciens du cercle d'Ayn Rand, objet d'un véritable culte, se souviennent des talents de séducteur de M. Greenspan. "C'était incroyable, il avait toujours une femme magnifique à ses côtés", souligne Barbara Branden, une des fondatrices du mouvement "objectiviste", lancé pour promouvoir les idées d'Ayn Rand. "Je crois que c'était l'attrait de ses capacités intellectuelles. Vous ne parveniez pas à le séduire en papillonnant des yeux", explique l'artiste Joan Mitchell Blumenthal, qui fut son épouse pendant dix mois dans les années 1950. L'homme peut être froid et calculateur. "Alan n'a aucun talent et aucun intérêt pour les conversations banales, ajoute M^me Branden. Si les gens autour de lui parlaient de la pluie et du beau temps, il se tenait à l'écart. Il était difficile de savoir à quoi il pensait derrière ses épaisses lunettes. Mais si quelque chose l'intéressait, alors il devenait très sociable, charmant, brillant." En 1967, Alan Greenspan est recruté pour la campagne de Richard Nixon par Martin Anderson, autre disciple d'Ayn Rand. Coïncidence, Leonard Garment, qui a dirigé le jazz-band où jouait M. Greenspan dans les années 1940, est un partenaire du cabinet d'avocats de Nixon. Il est lui aussi dans la campagne. Le futur patron de la Fed devient l'un des analystes économiques et politiques du candidat républicain. Il servira ensuite tous les présidents des Etats-Unis à l'exception de Jimmy Carter. Après le succès de Nixon, il retourne à ses prévisions économiques et refuse les postes proposés par l'administration.
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§ <MOIS=" 200601"><JOUR=" 20060131"><HEURE="2006013121"> Juin 2000. Le sénateur John McCain adversaire de George W. Bush pour l'investiture républicaine à la présidentielle doit répondre à la question d'un journaliste facétieux. " Que ferais-je si M. Greenspan devait mourir? Dieu nous en garde! ( Mais alors), je lui mettrais une paire de lunettes de soleil et le maintiendrais droit, bien assis à son bureau, aussi longtemps que possible." Hilarité dans la salle.
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