Jérusalem de notre correspondante
Houssane Abdou a saisi la paire de ciseaux que lui tendait le bras articulé d'un robot et, avec précaution, a coupé les lanières qui fixaient autour de ses épaules et de son abdomen une ceinture d'explosifs. Obéissant aux ordres des soldats israéliens, à l'abri derrière des blocs de béton, le jeune garçon n'avait visiblement plus envie de mourir. Une fois la ceinture et ses 8 kilos d'explosifs déposés à terre, les militaires lui ont demandé d'enlever son T-shirt et de baisser son pantalon pour s'assurer qu'un deuxième engin n'était pas dissimulé dans les vêtements. Le tout sous le regard de plusieurs dizaines de Palestiniens qui attendaient au check-point l'autorisation de passer. La scène a été tournée par Tsahal, mercredi 24 mars au barrage militaire d'Hawara, qui bloque l'entrée de Naplouse, en Cisjordanie.
Agé de 14 ans, selon l'armée et de 16 ans selon ses parents, interrogés par l'Agence France-presse, Houssane est le plus jeune kamikaze palestinien jamais interpellé par l'armée israélienne. Seuls quelques adolescents de 17 ans avaient jusqu'alors été recrutés par des groupes radicaux palestiniens. Houssane, décrit par son frère dans le quotidien israélien Haaretz comme "faible d'esprit" a alerté les soldats par son comportement suspect. Ces derniers avaient, en outre, reçu des informations sur un possible attentat. L'écolier, agissant pour le compte des Brigades des Martyrs Al-Aqsa, un groupuscule issu du Fatah, avait l'intention de se faire sauter au barrage. Il aurait pour ce faire reçu 20 euros. "Je voulais mourir en héros et rencontrer les 70 vierges promises au ciel", aurait-il déclaré aux soldats.
FAUSSES CEINTURES D'EXPLOSIFSCet incident intervient huit jours après l'arrestation, à ce même barrage, d'un enfant palestinien de 12 ans qui transportait, à son insu, une bombe placée dans un sac de sport. Le jeune Abdoullah, également originaire de Naplouse, avait été chargé "par un homme de 35 ans" de confier le bagage à une femme l'attendant de l'autre côté du barrage. L'homme lui avait versé un euro, la somme habituelle remise à ces jeunes garçons qui, à tous les barrages de Cisjordanie, aident les personnes âgées ou lourdement chargées à transporter leurs affaires.
L'utilisation de ces deux mineurs à des fins terroristes laisse penser qu'un nouveau pas a été franchi par les organisations radicales palestiniennes, de plus en plus autonomes, notamment à Naplouse, où règne le plus grand désordre et où l'armée israélienne a effectué de très violentes incursions ces derniers mois. Déjà, le recrutement de jeunes femmes kamikazes, inédit jusqu'à cette Intifada, avait choqué. L'exploitation des enfants risque de soulever une indignation encore plus forte, y compris dans la population palestinienne. "Les adultes qui ont manipulé mon fils doivent être punis, a affirmé la mère d'Houssane au Haaretz. Ce qu'ils ont fait va à l'encontre de nos croyances".
Mais la violence inscrite dans la vie quotidienne des Palestiniens depuis le début de l'Intifada n'est pas sans séquelles sur les enfants.
Selon des études menées, notamment par un psychologue de Gaza, Eyad Al-Sarraj, "un quart des jeunes garçons de plus de douze ans n'ont qu'un seul rêve : mourir en martyr". Le kamikaze est devenu une figure respectée et dans les rues de Gaza, de jeunes enfants s'affublent de fausses ceintures d'explosifs pour singer leurs aînés. "Ils les voient mourir ainsi et ils en font leur modèle", nous a indiqué le psychologue. "Lorsqu'ils parlent de se faire sauter en Israël, cela leur donne un sentiment de puissance, d'action, de capacité à toucher l'ennemi et à restaurer leur honneur", a également déclaré Salah Abdel Shafi, responsable du centre de soins du Dr. Al-Sarraj, dans un entretien au Maariv, le 19 mars.
Stéphanie Le Bars