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En aval de Serre-Ponçon, la sécheresse épargne l'agriculture

Chaque été, le barrage hydroélectrique doit fournir 200 millions de mètres cubes d'eau aux exploitations du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-Provence et des Bouches-du-Rhône. En amont de la retenue, en revanche, la pénurie est criante

reportage Sur ces terres, peu de maïs mais plutôt des vergers, des légumes et du fourrage

De la base du barrage de Serre-Ponçon jaillit une immense gerbe d'eau, d'un blanc immaculé qui illumine la vallée encaissée dans laquelle s'encastre l'ouvrage. Partout où les touristes s'arrêtent, EDF a collé une affichette dans laquelle l'entreprise publique explique qu'elle laisse passer le " nécessaire pour l'eau potable et l'irrigation de la vallée de la Durance (...) sans produire d'électricité". Les vannes sont grandes ouvertes pour cause de maintenance des turbines.

Rempli en 1961, ce barrage, qui est le plus gros en terre d'Europe, n'a pas pour seule fonction de produire du courant. Par contrat avec le ministère de l'agriculture, qui a financé 12 % de sa construction, EDF doit fournir, chaque été, 200 millions de mètres cubes d'eau à l'agriculture des trois départements de l'aval, les Alpes-de-Hautes-Provence, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône.

Même en cette période d'étiage, aggravée par la rareté de la neige hivernale et des pluies du printemps, cette tâche est bien remplie. Jean-Marc Moschetti, chef du groupement d'usine de Serre-Ponçon, précise que " depuis plusieurs années, malgré un niveau d'eau souvent très bas, l'agriculture ne consomme pas tous ses droits" et que 2005 ne devrait pas déroger à la règle. La chambre régionale d'agriculture confirme le propos, qui semble paradoxal à l'heure où la France connaît une sécheresse de forte ampleur.

Cette sous-consommation relative a plusieurs explications. La première tient à une activité agricole en repli. Depuis 1970, la Provence a perdu près de 15 000 exploitations et 20 % de terres irriguées. Deuxième raison : les efforts reconnus des agriculteurs. Ils cultivent des produits qui consomment peu d'eau : vergers, légumes et fourrages, plutôt que céréales ou maïs. Ils ont aussi amélioré leurs procédés d'irrigation. L'arrosage mécanique et le goutte-à-goutte sont économes.

Quant à la demande en eau potable, qui croît avec la population, elle est loin d'atteindre les masses consommées par l'agriculture : 15 % de l'eau captée dans la Durance et dans la retenue de Serre-Ponçon servent à satisfaire ces besoins domestiques, le reste étant entièrement consommé par l'irrigation.

C'est surtout le tourisme alpin et l'agriculture de montagne qui sont frappés par la sécheresse, notamment les 2 000 agriculteurs des Hautes-Alpes, spécialisés dans l'élevage et la polyculture. Le lac de Serre-Ponçon, situé pour sa plus grande partie dans ce département, n'irrigue pas son amont. Un grand nombre d'exploitants voient donc passer la ressource aquatique à proximité de leurs champs mais n'en bénéficient pas.

Jusqu'à cet hiver, il était presque acquis, pour cause de directive européenne, qu'il serait impossible de créer de nouvelles retenues sur les rivières en amont du barrage. Or le Buëch, affluent de la Durance, est pratiquement sec et son bassin est en état de crise : là, les paysans n'ont droit qu'à trois arrosages de nuit par semaine, ce qui va rendre presque impossible l'accumulation de fourrage d'hiver. Comme le dit Catherine Montrozier, de la chambre d'agriculture locale, " les paysans souffrent car les stocks fourragers et les trésoreries sont à zéro".

L'autre victime des basses eaux est le tourisme. Depuis une décennie, les communes riveraines et le département ont réalisé que le lac de Serre-Ponçon était une ressource essentielle : 25 000 lits - camping, hôtels et centre de vacances - peuvent accueillir les touristes autour du grand lac bleu azur, sillonné en été de toutes sortes d'engins flottants et ludiques.

SAISON TOURISTIQUE MITIGÉE

Or le niveau actuel des eaux rend les abords délicats. Les plages goudronnées s'arrêtent à quelques mètres de l'eau : il faut y entrer en marchant sur des cailloux ou de la boue ; bien des pontons sont affalés et les deux tiers de leurs anneaux sont inutilisables.

Le maire de Savines-le-Lac, Pierre Teissier (DVG), a eu beau agrandir sa plage de trois mètres, cela ne suffit pas à rendre la baignade aisée. " Il reste 2 800 hectares d'étendue nautique", plaide-t-il, mais la répétition des épisodes d'eaux basses pose un sérieux problème. Si l'année 2003 a été exceptionnelle - l'air frais des montagnes y préservait de la canicule -, la saison 2005 s'annonce tout aussi mitigée que la précédente.

M. Moschetti rappelle qu'EDF a fait des efforts, alors que rien, contractuellement, ne contraint l'entreprise publique à maintenir " une cote d'eau du lac compatible avec les activités touristiques". Celle-ci est fixée à + 775 mètres. Or, le 10 août, le lac était à peine à + 773 mètres, et il devrait perdre encore plus d'un mètre par semaine d'ici à la fin du mois d'août.

EDF a intégré cette donnée dans ses choix : pour soulager Serre-Ponçon, l'entreprise publique a utilisé, au profit de l'agriculture d'aval, 40 millions de mètres cubes des eaux du barrage de Sainte-Croix, sur le Verdon.

Le conseil général des Hautes-Alpes s'en félicite, tout comme le Syndicat mixte d'aménagement et d'étude de Serre-Ponçon, qui a lancé une étude afin d'imaginer de nouveaux aménagements sur cette étendue d'eau qui représente 10 % de la ressource touristique du département.

Car ce lac, créé par décret et régi par de multiples lois et contrats, a beau être géré par des ingénieurs aussi sérieux que ceux de l'EDF, il dépend surtout du caprice des montagnes et de la Durance.

Michel Samson



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