"l'irak ne sera pas capable de rembourser ou même de payer les intérêts de sa dette avant au moins la fin de 2004." Jeudi 1er mai, le sous-secrétaire américain au Trésor, John Taylor, a mis fin aux espoirs de ceux qui espéraient que la chute du régime de Saddam Hussein et la reprise de l'exploitation du pétrole leur permettraient de rentrer rapidement dans leurs fonds, au moins partiellement. Car pour M. Taylor "il ne faut pas s'attendre à court terme, disons un an et demi, à ce que des paiements soient faits".
Le sous-secrétaire s'exprimait devant le Center for International and Strategic Studies (CSIS). Ce "think tank" américain a évalué à 400 milliards de dollars (356 milliards d'euros) les obligations financières non tenues de l'Irak. Pour le CSIS, cette somme comprend 127 milliards de dollars de dette extérieure, dont 47 milliards d'intérêts dus aux créanciers publics, le reste correspondant notamment aux innombrables demandes de dédommagement au titre de la Guerre du Golfe. "Cela va entraîner de dures négociations affirmait Nick Barton du CSIS, il y a un mois. Une fois Saddam parti, tout le monde va se battre pour cet argent." Selon lui, un accord envisageable serait l'abandon d'une bonne partie des compensations en expliquant à des pays comme le Koweït et l'Arabie saoudite que la chute de Saddam constitue leur meilleure compensation.
Mi-avril, le G7 a demandé au Club de Paris "d'agir" vite sur la question de la dette irakienne. Ce dernier, qui rassemble les représentants des pays créanciers, a donc commencé, le 24 avril, à étudier la question et poursuivra cet examen "dans les prochains mois", ne disposant encore que "d'informations parcellaires". Le "stock" des créances irakiennes (hors intérêt) est évalué à 26 milliards de dollars mais les chiffres les plus divers circulent. "Nos conseillers à Bagdad vont devoir parcourir les dossiers pour trouver à combien s'élève la dette, qui est énorme", a déclaré M. Taylor.
CLIVAGES ENTRE CRÉANTIERSLe sort de la dette irakienne est évidemment la question qui fâche. La tentative du numéro deux du département américain de la défense, Paul Wolfowitz, de faire pression pour que la France, la Russie et l'Allemagne contribuent à la reconstruction de l'Irak en effaçant tout ou partie de la dette contractée auprès d'eux par Bagdad - au motif que celle-ci "provient de l'argent que ces pays ont prêté à Saddam pour acheter des armes, des instruments de répression et bâtir des palais" - s'est heurtée à un très ferme tir de barrage.
Les clivages sont aussi apparus entre les grands créanciers. Les Etats-Unis sont enclins à un geste généreux à l'égard de Bagdad. La Russie s'est dite prête à étudier la requête de Washington en effaçant de 8 à 12 milliards de dollars de dettes car "dans l'ensemble, la proposition est compréhensible et légitime", a déclaré Vladimir Poutine, le président russe. L'Allemagne (4 milliards d'euros de dettes) ne s'est pas encore prononcée sur ses intentions. Le Japon a écarté tout effacement, considérant que les ressources naturelles dont dispose le pays lui permettent de rembourser.
Pour la France, Francis Mer, le ministre de l'économie, rappelle que certes, l'Irak "aura besoin de notre attention mais qu'on n'oublie pas qu'il y en a beaucoup d'autres". Combien l'Irak doit-il à Paris ? Mystère. Après avoir été évaluée à 4 milliards de dollars avant l'invasion du Koweït en 1990, à 8 milliards à l'heure actuelle avec le cumul des intérêts, M. Mer se contente de parler du principal : entre 1,7 et 1,8 milliard de dollars. Un niveau équivalent à celui des Etats-Unis.
Comme pour la dette yougoslave en 2001, le Club de Paris pourrait trouver des formules allégeant le poids de la dette irakienne. Encore faut-il en connaître le montant exact, qu'un accord préalable avec le Fonds monétaire international (FMI) soit signé et qu'il existe un interlocuteur à Bagdad. Car "il n'est pas question de signer avec un général américain", confie-t-on à Bercy.
Babette Stern