Sa maison, foyer de la famille Abu Labada, avait été réquisitionnée par une unité des Forces de défense israéliennes.
Son fils Ashraf, dont on ignorait à Rafah la présence sur les listes de personnes recherchées de l’armée a fuit la maison ; il a été abattu et tué. Les soldats n’ont pas trouvé le tunnel qu’ils cherchaient.
Les autres fils ont également été arrêtés. Seuls les femmes et les enfants sont restés dans la maison, retenus par les soldats et les blindés qui ont pris position autour de la maison durant 15 heures.
Et pourtant cela n’a pas été facile du tout d’évacuer l’homme en ambulance. Malgré la coordination entre des officiers de liaison palestiniens et israéliens, la première ambulance envoyée a dû rebrousser chemin lorsqu’elle a essuyé des tirs provenant d’un des blindés israéliens.
S. est monté dans la seconde ambulance avec un autre ambulancier. Eux aussi avaient reçu le feu vert des officiers de liaison des deux bords. S. se trouvait à 200 mètres du premier blindé qu’il voyait près de la maison et qui lui bloquait l’entrée. On lui a dit d’avancer par radio. 20 mètres plus loin, plusieurs coups de feu ont touché la terre tout près de l’ambulance. S., qui est très expérimenté, a bien compris le message : reste là où tu es. Il a alors cherché et trouvé une autre manière d’atteindre la maison.
Avant de finir par atteindre la porte d’entrée de la maison (un détour d’environ 400 mètres), il a dû passer près d’un blindé, puis un autre, attendre 15 minutes devant le premier (jusqu’à ce qu’il fasse clignoter ses feux et s’écarte pour le laisser passer), sans cesser d’informer en permanence de ses progrès par radio. "Je suis prudent car je sais à quel point les soldats qui sont dans les blindés ont peur," a expliqué S.
Une fois arrivé dans la maison des Abu Labada, un médecin militaire l’a mené au père dans l’intention de le transférer dans l’ambulance. Pourtant à ce stade, un officier l’a appelé et l’a mené dans la cour où il lui a montré le corps d’un homme mort (dont l’identité était encore inconnue de S.). S. a refusé de transporter le corps et le patient dans la même ambulance. L’officier lui a permis d’appeler une autre ambulance. Pendant ce temps, raconte S., l’officier tentait de photographier le corps. Il y avait un poulailler dans cette cour et les poules, perturbées par le tumulte, battaient des ailes. Ces froissements ont mis l’officier en alerte ; laissant tomber son appareil photo, il a fait un bond, jetant des regards paniqués aux alentours et serrant son fusil.
"Le soldat israélien a peur d’un poulailler," a pensé S. Cette peur est un autre aspect du contrôle israélien dans la Bande de Gaza. Lorsque les soldats n’y sont pas dans des véhicules blindés ou dans des tanks, ils s’abritent derrière des positions de béton armé munies de meurtrières, comme celles du barrage routier de Gush Katif qui règle les mouvements de milliers de voitures et de camions empruntant le principal axe nord-sud de la Bande de Gaza. Ainsi, protégés de la crainte, voyant sans être vus, ils montrent tous les jours aux Palestiniens qui commande. Il n’y a aucun interlocuteur.
Le barrage routier ferme le soir à 20 heures. Mardi 10 février, à 17heures15, une longue colonne de voitures s’était formée au barrage routier au sud de l’intersection de Gush Katif (un poste en béton et des feux de circulation actionnés par des soldats et passant du vert au rouge et inversement).
A partir de 15 heures, selon les conducteurs en tête de file, les véhicules ont avancé à une vitesse d’environ 20 mètres à l’heure. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas avancé. Il arrivait la même chose aux véhicules provenant du nord. Jusqu’à 19 heures, la file venant du sud a avancé d’environ 100 mètres. Les conducteurs, tendus, anxieux, avaient formé quatre files au lieu de deux. Une femme soldat du bureau du porte-parole de l’armée a appelé pour dire qu’elle avait parlé avec les soldats du barrage pour savoir ce qu’il se passait et qu’"ils n’étaient pas au courant" du problème, qu’il y avait peut-être un accident de circulation.
En d’autres termes, cela signifie que cette situation ne correspondait à aucun impératif (comme des alertes des services secrets, des précautions de sécurité ou un convoi de véhicules particulièrement long se dirigeant vers les colonies). Non, la porte-parole des Forces israéliennes de défense a été informée par un rapport direct de terrain, à 200 mètres des soldats qui voyaient sans être vus, qu’il n’y avait pas d’accident. La femme soldat a alors répondu : « De toute façon, ce ne sont pas nos soldats qui causent cet encombrement ». A quoi l’informateur de terrain a répondu : "Mais ce sont nos forces qui contrôlent les feux de circulation, qui sont au rouge, et la colonne est au point mort."
Pendant ce temps, les voitures de l’autre côté se préparaient à bouger et l’autre côté du barrage s’est retrouvé complètement vidé de voitures. A 19h47, nos forces ont fait passer le feu au sud du rouge au vert. Des soldats désoeuvrés qui se distraient à nos dépends, ont conclu les conducteurs qui faisaient la file... C’est bien là également un aspect du contrôle israélien dans la Bande de Gaza, mais d’habitude personne n’est là pour vérifier avec le bureau du porte-parole des Forces de défense israélienne et entendre qu’il n’y a pas de raison opérationnelle à un retard de plusieurs heures au passage des ambulances, des camions de produits alimentaires, des autobus et des automobiles transportant des enseignants, des élèves, des étudiants, des médecins et des passagers tout à fait ordinaires.