Augusta (etats-unis) de notre envoyé spécial
La plupart des spectateurs attendait Tiger Woods, alias le Tigre, certains espéraient une victoire de leur favori, d'autres misaient sur le gaucher Phil Mickleson. Un gaucher l'a en effet emporté à Augusta (Géorgie), dimanche 13 avril, mais pas celui que l'on attendait. La 67e édition du Masters a même été marquée par la suprématie de cette catégorie de joueurs, les trois premières places leur revenant, alors que jamais un gaucher ne s'était imposé sur ce parcours. Premier, le Canadien Mike Weir, un gaucher naturel. Deuxième, l'Américain Len Mattiace - prononcer Matisse -, gaucher contrarié. Troisième Phil Mickelson, gaucher occasionnel, seulement quand il s'agit de tenir un club de golf.
Le Masters 2003 a été riche en surprises. Le fait même que Tiger Woods ait terminé dans les cordes, à la 15e place et à 9 coups du vainqueur, a été la plus spectaculaire. Qu'un gaucher remporte l'épreuve en a donc été une autre, d'autant qu'il ne s'agissait pas du Californien Phil Mickelson, chouchou du public. Qu'un Canadien l'emporte constitue également une première. Enfin, la victoire s'est jouée après un barrage, et cela ne s'était pas vu depuis 1980 et la victoire de l'Anglais Nick Faldo sur l'Américain Ray Floyd.
Deux golfeurs que l'on n'attendait pas se sont donc retrouvés, dimanche après-midi, à égalité de coups, 7 sous le par, à l'issue des quatre tours de compétition. L'un, totalement imprévisible, disputait quasiment son premier Masters : Len Mattiace en avait bien joué un autre - c'était en 1988 -, mais il était encore amateur. Professionnel depuis 1990, il n'a que deux victoires à son actif, obtenues en 2002, dont l'une dans le Nissan Open. Huitième à l'issue du troisième tour, à 5 coups du leader, ce garçon discret a réalisé un dernier parcours d'anthologie, rattrapant puis dépassant tous les "cadors". Tous les connaisseurs lui prédisaient une inévitable sortie de route. Pourtant, au départ du 18, le brave Len Mattiace en était à 8 coups sous le par. Il flanchait - légèrement - sur ce dernier trou, où il faisait un bogey.
DÉJÀ 2 VICTOIRES EN 2003Inattendu à ce niveau, Mike Weir, l'était par tous, sauf par lui-même. Ce ressortissant d'un pays voisin - moins amical qu'on l'aurait souhaité ici en ces temps de guerre - avait pourtant commencé la saison sur les chapeaux de roue : deux victoires, au Chrysler Open et au Nissan Open, plus une place de 3e et une autre de 9e. Au jeu du "Qui dit mieux ?", seul Tiger Woods pouvait prendre la parole, avec ses trois victoires.
Modèle de constance, le Canadien a toujours, au cours des quatre tours, occupé une place parmi les quatre premiers. Public et spécialistes, obnubilés par le parcours des vedettes confirmées, ne lui portaient pourtant que peu d'attention, lui qui fermait la marche, jouant dans la dernière partie. Sans excès, le Canadien accélérait progressivement, rentrait son quatrième birdie au 15 et rejoignait le 18 à égalité avec le bolide Mattiace.
Les autres concurrents étaient tombés comme des mouches, les uns incapables de se décoller à plus d'un ou deux coups au-dessus du par, les autres perdant toutes leurs illusions sur les trous peu amènes de l'Amen Corner. La palme revenait à l'Américain Jeff Maggert, premier après le troisième tour et auteur d'un mémorable quintuple bogey sur le 12. Seul Phil Mickelson tirait son épingle du jeu. Tel qu'en lui-même, il réalisait un birdie sur le dernier trou pour prendre sa troisième place d'affilée au Masters.
A peine en avait-il terminé que Mike Weir rejoignait Len Mattiace au départ du trou numéro 10, un par 4, où débuterait le barrage. L'Américain attendait depuis près d'une heure, guettant en vain le moindre dérapage de son concurrent, tâchant de maintenir son moteur sous pression. Entre eux il n'y aurait pas de quartier, puisque le barrage se disputait selon la règle de la "mort subite".
Les duellistes se retrouvaient rigoureusement sur la même ligne après leur premier coup, sur l'une des rares bandes de fairway encore ensoleillées à 19 heures. Len Mattiace égarait son deuxième coup sous les arbres, à droite du green. L'Américain ne s'en remettait pas et commettait un double bogey. Avec un simple bogey, Mike Weir, amateur de hockey et de pêche, obtenait la victoire et pouvait prendre son épouse dans ses bras.
Ne restait plus au vainqueur, âgé de 32 ans et père de deux petites filles, qu'à remonter les 495 yards que compte le trou numéro 10, pour rejoindre le green du 18, où devait avoir lieu la remise des prix. Vêtu de noir des pieds à la tête, Mike Weir prenait place aux côtés de Tiger Woods, attendait que le président du club, Hootie Johnson, termine son discours, que le jeune Américain Ricky Barnes, meilleur amateur, fasse de même, pour enfin prendre la parole et exprimer toute sa joie d'avoir remporté 1 080 000 dollars (1 004 000 euros environ) et pris la tête du classement américain, avec un total de 3 286 000 dollars (3 056 000 € ) de gains depuis le début de la saison.
Tenant du titre, Tiger Woods pouvait lui passer la veste verte accordée au vainqueur. Les deux hommes se livraient alors à une scène digne des films de Laurel et Hardy, enlevant et remettant la veste une bonne vingtaine de fois afin que tous les photographes présents puissent immortaliser cet instant unique.
Jean-Louis Aragon