Les députés ont achevé, mercredi 26 mai, l'examen des deux articles du projet de loi constitutionnelle sur la Charte de l'environnement, qui fera l'objet d'un vote solennel mardi 1er juin, après la séance des questions au gouvernement. Au terme du débat, il ne fait guère de doutes que le texte sera approuvé par une majorité d'élus, mais l'ampleur du vote reste difficile à apprécier : la droite comme la gauche ont émis de fortes réserves, notamment sur l'inscription dans la Constitution du principe de précaution tel qu'il est défini dans l'article 5 du projet de Charte de l'environnement.
Pour l'UMP, c'est Daniel Garrigue qui présente un amendement, initialement signé par 80 de ses collègues. Le député de la Dordogne souhaite "que le principe de précaution soit un principe d'action, assurant une réelle sécurité juridique, et non un principe d'application directe au terme duquel n'importe quelle décision pourrait être déférée devant un juge". "Si l'on acceptait d'insérer ces sept mots, "dans les conditions définies par la loi", nous serions prêts à voter à l'unanimité cette Charte", insiste M. Garrigue. "À défaut, notre différend persistera", conclut-il. Les réponses successives de la rapporteuse (UMP) du projet de loi, Nathalie Kosciusko-Morizet, et du président (UMP) de la commission des lois, Pascal Clément, n'ont visiblement pas satisfait le député de l'UMP.
C'est au tour de ses collègues de faire assaut de persuasion. Francis Delattre (UMP, Val-d'Oise) : "Je suis l'un des signataires de l'amendement, rédigé au début de nos travaux. Mais la question ne se pose plus dans les mêmes termes. J'en appelle à mes collègues du groupe UMP pour qu'ils renoncent à cet amendement."Guy Geoffroy (UMP, Seine-et-Marne) : "Cet amendement traduit des interrogations parfaitement légitimes (...), mais faisons confiance à la Charte de l'environnement, qui est un texte de progrès." M. Garrigue maintient son opposition. Christine Boutin (UMP, Yvelines) avoue sa perplexité : "Je n'y comprends plus rien." L'amendement de M. Garrigue est rejeté.
Les critiques de la gauche sont venues se combiner à celles de l'UMP. A l'ouverture de la discussion générale, Ségolène Royal (PS, Deux-Sèvres), tout en critiquant le "double langage" de la droite sur les questions de l'environnement, avait insisté sur la nécessité d'avoir "une approche positive" sur ce texte. "S'agissant d'inscrire le principe de précaution dans la Constitution, les socialistes sont prêts à vous rejoindre", avait déclaré Mme Royal.
Changement de ton après la réunion du groupe socialiste, mercredi matin. L'idée d'inscrire ce principe dans la Loi fondamentale, qui avait déjà fait l'objet de critiques la veille au bureau national du PS, se heurte à un véritable tir de barrage. La plupart des intervenants jugent ce principe insuffisamment défini. Au-delà de cette opposition sur le fond, plusieurs élus ne souhaitent pas "participer à un vote qui s'apparente à un coup politique", selon Jean-Yves Le Déaut. "La meilleure des choses, c'est de laisser la droite s'arranger entre elle", ajoute le député de Meurthe-et-Moselle.
Jean Glavany (PS, Hautes-Pyrénées) fait part de ses "fortes réticences" à adopter un principe "dont personne n'est capable de dire ce qu'il est". "Je n'ai pas l'ombre d'une hésitation sur la nécessité d'un droit à l'environnement, précise-t-il, mais on n'a pas, là-dessus, à être à la remorque des Verts, qui font de l'écolo-gauchisme."
Dans l'après-midi, le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, et le premier secrétaire du PS, François Hollande, s'entendent sur l'attitude à adopter en séance. "Nous sommes d'accord sur des principes, explique M. Hollande, mais pas des principes sans contenu ou mal écrits, qui pourraient se révéler dangereux." En outre, pour le député de la Corrèze, "c'est une loi qui vient de l'Elysée, un "coup" de Chirac" : "Chirac est dans l'instant, voire même dans la rétrospective, souligne M. Hollande. Nous ne devons pas le suivre dans tous ses excès." Le premier secrétaire, tout en assurant que le groupe PS ne prendra sa décision finale que mardi matin, n'exclut désormais plus un vote défavorable.
M. Ayrault met l'accent sur la volonté du PS de voir adopter son amendement portant sur la reconnaissance de la notion de "pollueur-payeur": "C'est en fonction de ça qu'on se prononcera", annonce le député de la Loire-Atlantique. Or, comme il était prévisible, l'amendement du PS, défendu par le président du groupe, est rejeté en séance. Bien que le président de la commission des lois ait laissé une porte entrouverte : "Si, avant que le texte nous revienne en deuxième lecture, il apparaissait nécessaire de viser expressément l'expression "pollueur-payeur", nous la rajouterions", concède M. Clément.
Les députés Verts, quant à eux, ont continué, mercredi, à boycotter le débat en séance publique, estimant que "le principe de précaution a été vidé de son contenu" et que la Charte de l'environnement, dès lors, n'est plus qu'"un trompe-l'il", selon Noël Mamère (Verts, Gironde). Une appréciation que ne partage pas l'ex-secrétaire nationale du parti, Dominique Voynet. "Tel qu'il est, ce texte n'est pas inutile, explique l'ancienne ministre de l'environnement dans un entretien publié, jeudi 27 mai, par Libération. Si j'étais députée, je le voterais."
Patrick Roger