Le mot "caoutchouc" désigne à l'origine l'arbre qui pleure connu sous le nom d'hévéa. Il serait trop long de raconter ici les aventures et mésaventures de la gomme, les feuilles de journal ne brillant guère par leurs vertus élastiques. Rappelons simplement que, né dans la forêt brésilienne, le caoutchouc s'est déplacé à la fin du XIXe siècle vers les colonies asiatiques de l'Empire britannique. Autant dire tout de suite que l'hévéa n'a pas étiré tout seul ses feuilles par-dessus les océans, d'Amazonie jusqu'en Malaisie.
Une vieille légende raconte qu'un gentleman anglais dissimula quelques plants dans son chapeau melon au retour du Brésil, et que cette poignée de graines enfouies dans son galurin donna naissance aux grandes plantations de sa Très Gracieuse Majesté.
La vérité est moins poétique, car les historiens des matières premières s'accordent pour reconnaître un véritable hold-up mené en son temps par les Européens au détriment des Latinos. Vieille querelle. Le caoutchouc est né dans les larmes. Hévéa, arbre qui pleure : il n'a pas volé son nom. On ne parlait pas encore de biodiversité que la gomme était déjà une espèce disputée.
Ces réminiscences caoutchouteuses n'auraient sans doute pas surgi dans notre esprit si le numéro deux du PS, dont on croit comprendre qu'il voudrait devenir le numéro un, n'avait porté un coup dur et injuste à l'encontre de cette formidable substance imperméable. Vouloir rebondir et insulter le caoutchouc, voilà qui relève d'une faute tactique évidente de la part de Laurent Fabius. A-t-il oublié que la moto, dont il se fit le chantre dans un temps pas si lointain, ne roule en souplesse que par la grâce du latex ? N'a-t-il jamais éprouvé, sur son terrible engin de location, l'ivresse de la puissance au moment de "mettre la gomme"?
Au nom de tous les hévéas muets de stupéfaction, nous l'écrivons tout net : en prônant pour son parti politique "une opposition ferme et non pas une opposition en caoutchouc",l'ancien premier ministre a pris le risque d'un retour d'élastique aussi cuisant que peut l'être un retour de bâton ou de manivelle. S'il croit que François Hollande est mou, il se trompe. Le caoutchouc est d'autant plus résistant qu'il est souple et dur à la fois...
Naturel ou synthétique, le latex est partout dans nos vies. Les Japonais l'utilisent pour confectionner des tampons antisismiques dans les fondations des immeubles et, n'en déplaise à l'Eglise, il est le seul barrage efficace contre le HIV. En affirmant cette vérité terrestre plutôt que divine, le porte-parole de la Conférence épiscopale espagnole, Juan Antonio Martinez Carmino, s'est récemment attiré les foudres de sa hiérarchie. "Le préservatif a sa place dans le contexte de la prévention intégrale et globale du sida", a osé affirmer le religieux.
Evidemment, le Vatican a rappelé que l'objectif était "d'empêcher la fornication", la Conférence épiscopale soutenant de son côté que le préservatif était "immoral". Seules les vertus préventives de la fidélité et de l'abstinence ont été mises en avant dans la lutte contre l'épidémie.
Décrié par Fabius, excommunié par l'Eglise, le caoutchouc sent vraiment le cramé dans certains "milieux autorisés", comme disait Coluche quand il riait encore.