La Banque mondiale a entériné, jeudi 31 mars, un projet de barrage, au Laos, sur un affluent du Mékong, la Nam Theun. En dépit de l'hostilité de nombreuses ONG, la société chargée du dossier et son opérateur, Electricité de France (EDF), ont donc rempli la " feuille de route " exigée par l'organisme de crédit international.
Repris sur intervention de Jacques Chirac, en août 2003, après avoir été enterré par Bercy, le montage financier de ce chantier, connu sous le label " Nam Theun II ", vient d'être bouclé. L'objectif est de vendre à la Thaïlande près d'un millier de mégawatts par an, qui devraient générer 220 millions de dollars annuels à partir de 2010 et pendant vingt-cinq ans. " Cela correspondra à une augmentation de 60 % des recettes à l'exportation du Laos ", estime Ludovic Delplanque, conseiller en communication de la société chargée du projet, Nam Theun II Power Company (NTPC). La construction du barrage doit s'amorcer à la limite du plateau de Nakai, traversé par la Nam Theun. La retenue d'eau devrait couvrir, en saison des pluies, 450 km2. Ce lac sera, en fait, " une énorme flaque d'eau de 7 à 8 mètres de profondeur ", déclarait Jean Dulac, qui dirigeait alors l'opération, à Vientiane, en 2004. L'astuce est que le Nakai longe, à l'ouest, une ligne de crête qui le sépare du bassin, en contrebas, de la Xe Bang Fai, autre affluent du Mékong. L'usine hydroélectrique exploitera cette dénivellation pour alimenter ses turbines, au pied du versant ouest de la ligne de crête à l'intérieur de laquelle sera creusé un canal vertical de 348 mètres. Une partie de l'eau sera donc déviée vers la Xe Bang Fai, tandis que des lignes à haute tension seront tirées en direction du Mékong, qui forme la frontière entre le Laos et la Thaïlande.
L'ensemble du projet, dont la construction prendra quatre ans et demi, est évalué à 1,2 milliard de dollars. EDF détient 35 % des parts de NTPC, le reste étant réparti entre Electricité du Laos (25 %), EGAT (électricité de Thaïlande, 25 %) et Italthai (constructeur thaïlandais, 15 %). Les quatre compagnies se sont engagées à hauteur de 400 millions de dollars. La part d'EDF, chargée du chantier et de la gestion pendant les vingt-cinq ans de concession, est donc d'environ 135 millions de dollars.
Une coalition de 153 ONG de 42 pays, qui dénoncent l'essence du projet aussi bien que ses effets humains et écologiques, avait demandé à la Banque mondiale de ne pas le soutenir. Elle fait valoir que, pendant les dix premières années d'exploitation, les revenus de l'Etat laotien ne s'élèveront qu'à 25 millions de dollars - ce qui ne représenterait qu'une augmentation de 5 % de ses revenus.
" LIGNES DIRECTRICES "
EDF conteste cet argument en précisant que les revenus seront progressifs et que, au bout de dix ans, ils passeront à 110 ou 120 millions de dollars par an. Donc, sur vingt-cinq ans, les revenus de Vientiane s'élèveront, en moyenne annuelle, à 75 millions de dollars.
Derrière ce projet né il y a de longues années, la Banque mondiale a introduit dans le contrat " dix lignes directrices ". Elle entend notamment s'assurer que les dividendes de ces exportations d'électricité ne seront pas gaspillés par l'Etat laotien et que l'opération sera un modèle écologique et social.
Sur le plateau de Nakai, une cinquantaine de hameaux - soit de 5 000 à 6 000 personnes - doivent être déplacés. " Ce sont des gens très pauvres, dont le revenu annuel par famille de cinq personnes se situe entre 300 et 450 dollars ", avait déclaré M. Dulac, tout en estimant que leur relogement était " gérable en douceur " et qu'on devrait aboutir à " une nette amélioration des conditions de vie sur le plateau ".
Le projet a resurgi après avoir longtemps traîné, notamment en raison de la crise financière asiatique de 1996-1997. Mais, depuis, l'économie thaïlandaise a repris et ses besoins en électricité sont croissants. Le 21 mars, la Banque mondiale a répondu aux critiques des ONG qui ont maintenu leur opposition. " Nous avons passé près de dix ans à étudier le projet et à en évaluer les risques ", a indiqué l'ex-président de la Banque, James Wolfensohn, jeudi 31 mars, lors de l'adoption du projet. " Les risques peuvent être gérés et l'une des principales raisons de notre implication est d'aider à gérer ces risques ", a-t-il considéré.
Jean-Claude Pomonti