Sur la base de différents axes d'étude du corpus Débat, le cadre théorique mobilisé (nous vous enjoignons à une lecture préalable des Rappels Théoriques afin de mieux cerner les notions et les emplois terminologiques convoqués dans cette section) apparaît comme pertinent afin de fournir une explicitation de certains phénomènes identifiables, en particulier relatifs aux pratiques du donner-à-voir mises en oeuvre par les participants.
Le pôle institutionnel de la situation d’interaction induit une asymétrie parmi les membres impliqués. En effet, le statut participatif des interlocuteurs est, en quelque sorte, prédéfini par la forme du débat; on entend par là qu’il y a forcément une asymétrie thématisée dans la répartition des rôles interactifs des intervenants.
Est attendue d’une telle interaction une répartition différente des rôles des participants du fait de leur fonction dans le débat, qui permet de distinguer entre les régulateurs –Arlette Chabot et Patrick Poivre d’Arvor– et les acteurs –Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy– du débat, ce qui est effectivement constatable en observant les données.
Dans la perspective d’une analyse interactive du débat entre les candidats des formations politiques représentées au second tour des élections présidentielles, les statistiques sur l’accroissement du vocabulaire des régulateurs du débat fournit des résultats on ne peut plus intéressants.
poivre
et chabot
.D’après les statistiques sur le vocabulaire des régulateurs illustrées en Figure
1, si Arlette Chabot et Patrick Poivre d’Arvor présentent un accroissement
similaire au début du corpus, très rapidement une divergence apparaît.
Le vocabulaire de Chabot s’accroît sur une période d’à peine plus de la moitié
du corpus, et s’arrête net, tandis que celui de Poivre ne cesse d’augmenter. Cela
peut indiquer plusieurs aspects à prendre en compte du point de vue de leur
rôle de régulation et/ou d’implication dans le débat.
En premier lieu, si l’on prend en compte les statistiques sur les formes les
plus fréquentes par locuteur pour la tentative d’interprétation de ce graphique
d’accroissement du vocabulaire, il faut souligner que Chabot produit avant tout
des indexicaux d’interlocution tournés vers les participants au débat, réalisés
par le pronom vous.
Il est également intéressant de remarquer que, du point de vue de ces statistiques
sur les fréquences de formes, Poivre s’ajuste aux fréquences de production
de Royal et Sarkozy, en réalisant davantage d’occurrences de la préposition de.
Par ailleurs, comme il a été suggéré, de tels résultats semblent devoir être interprétés en termes de différence d’implication des régulateurs dans le débat.
Ce qu’indiquent les courbes de résultats de la Figure 1, c’est d’abord que Chabot fait moins intrusion dans l’interaction qui se déroule entre Royal et Sarkozy, à l’inverse de Poivre, ce qui laisse à penser que le degré d’implication de ce dernier dans le débat est plus important. Cela suggère une asymétrie de statut, que viennent conforter les statistiques sur les nombres d’occurrences et de formes produites par Poivre, globalement deux fois supérieures à celles produites par Chabot.
Du point de vue du lexique observable dans les tours de parole des régulateurs,
ceux de Chabot présentent des caractéristiques particulières.
En effet, Chabot produit davantage d’énoncés relatifs à la gestion temporelle
du débat : le champ lexical exprimant la temporalité, plus précisément lié au
minutage, est très présent dans ses productions.
Cet aspect lexical, mis en regard avec une observation partielle des conduites
interactives données à voir dans le corpus Débat, permet de corroborer
l’idée d’une asymétrie de statut, au sein de laquelle Chabot apparaît comme celle
qui répartit la parole, en invitant par exemple les uns et les autres à se répondre.
Poivre, quant à lui, apparaît plutôt comme le régulateur thématique, topical, du débat, ce qui tend à donner une amorce d’explication tangible au fait constaté de sa participation plus importante au débat du point de vue de la variété de vocabulaire.
En croisant ces trois types de données extraites et calculées sur les corpus, il
est possible de mettre en évidence une asymétrie entre Chabot et Poivre quant
à ce qu’ils donnent à voir dans leur réalisation du rôle social de régulateur du
débat.
Il est entendu qu’une analyse linéaire séquentielle du débat dans son intégralité
permettrait une interprétation adéquate – en termes de catégorisation discursive
des participants – de l’asymétrie évoquée ici, que nous nous bornons simplement
à constater.
Pour le commentaire de ce graphique, on s'intéressera plus particulièrement aux statistiques relatives aux deux principaux acteurs du débat, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
[Jj]e
- [Mm]oi
- [Vv]ous
, par auteurUn premier constat concerne la fréquence de production de l’indexical d’interlocution vous, davantage employé par Sarkozy. Il faut d’emblée mettre en regard ce résultat avec les observations faites sur le mode d’adressage, partant la gestion de l’interaction, mise en oeuvre par Sarkozy.
En effet, ce dernier, contrairement à Royal, intègre les régulateurs du débat dans le cadre de participation de l’échange qu’il entretient avec son adversaire; il est possible de le constater en regardant de près ses tours de parole : il est le seul des débattants à interpeller les régulateurs du débat.
Cela permet de mettre au jour une différence importante dans les stratégies interactives respectivement adoptées par Royal et Sarkozy.
Tandis que Royal s’adresse préférentiellement – et ce, tout au long du débat
– à son adversaire, donc à son interlocuteur direct, sans produire de vocatif
destiné à Chabot ou Poivre, Sarkozy n’hésite pas à les prendre à parti, comme
l’illustre l’extrait ci-dessous.
<auteur="sarkozy"> L'Etat a transféré la compétence de la formation professionnelle aux régions. Entre temps, tenez-vous bien, Monsieur Poivre d'Arvor, les effectifs de la formation professionnelle dans l'Etat ont augmenté de 60 %.
Il est par ailleurs possible de constater que c’est Sarkozy qui produit le plus d’indexicaux personnels, c’est à dire des je et moi, tout au long du débat.
En croisant ces trois types de données extraites et calculées sur les corpus, il est possible de mettre en évidence une asymétrie entre Royal et Sarkozy quant aux stratégies interactives et discursives qu’ils mettent en oeuvre au cours du débat.
Il est entendu qu’une analyse linéaire séquentielle du corpus dans son intégralité
permettrait une interprétation adéquate – en termes de catégorisation discursive
des participants – de l’asymétrie ici évoquée, que nous nous bornons simplement
à constater.
Il a paru pertinent de s’essayer à une analyse fonctionnelle d’un certain nombre de phénomènes relatifs à l’alternance de parole entre les acteurs du débat, observés au cours de l’étude transversale du corpus Débat.
En effet, les phénomènes de chevauchements et d’interruption de parole, observables dans le discours peuvent être conçus comme relevant de l’intention du locuteur, partant, de son parti pris quant à la gestion de l’interaction, constituant à ce titre des éléments privilégiés pour aborder le donner-à-voir du statut de débattant exhibé par Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
<auteur="sarkozy"> Aujourd'hui, c'est le plus faible taux de chômage en France depuis 25 ans. Je ne dis pas que l'on a tout réussi, mais c'est le taux le plus faible. Comment faire pour aller plus loin? Ce que dit Mme Royal est intéressant. C'est une différence essentielle entre son projet et le mien. Au fond, elle est dans la stricte logique socialiste du partage du temps de travail. Il y a un temps de travail qui est comme un gâteau, il faut le partager. Elle nous dit que personne ne travaille plus de 35 heures, ainsi, cela obligera les autres à embaucher. Nulle part ailleurs dans le monde, on ne fait cela. Il n'y a pas un seul pays, madame, socialiste ou pas, qui a retenu la logique du partage du temps de travail, qui est une erreur monumentale. Les 35 heures n'ont pas créé d'emplois et ont été responsables de quelque chose de plus grave encore: la rigueur salariale, qui fait que nos salaires sont trop bas. Cela pèse sur le pouvoir d'achat des Français. Le pouvoir d'achat en berne, c'est moins de croissance. Je propose une autre stratégie, la stratégie qui a marché partout. Vous citez les démocraties du Nord de l'Europe, c'est ce qu'ils font. Vous avez votre ami Blair au Royaume-Uni, c'est ce qu'il a fait. Zapattero, c'est ce qu'il a fait. Le travail des uns crée le travail des autres. C'est pourquoi l'institut Rexecode, organisme indépendant, a noté le projet économique
Dans l’exemple rapporté en Fig. 6, Royal interrompt le tour de parole développé par Sarkozy, en mobilisant une stratégie d’autosélection. Cependant, il s’agit d’un phénomène d’arrogement de parole qualifiable d’abrupt, en ce qu’il ne repose pas sur un point de transition de parole possible. C’est donc un cas de rupture dans la circulation de la parole.
<auteur="sarkozy"> Que faites-vous des 35 heures, vous les gardez ? <auteur="royal"> Je l'ai dit. La deuxième loi sur les 35 heures a été une loi trop rigide. Je suis capable de regarder les choses telles qu'elles sont, et la réalité des entreprises telle qu'elle est. J'ai cette responsabilité dans les régions. Nous gérons les aides économiques des entreprises. Tous les jours, je suis auprès des chefs d'entreprise. J'ai vu que la deuxième loi avait été trop rigide. J'ai dit dans mon pacte présidentiel que toute modification du Code de travail se ferait après une négociation entre les partenaires sociaux. Toute modification du Code du travail et pas en assénant un certain nombre de choses. Vous avez vu les réactions. <auteur="sarkozy"> Que veut dire "trop rigide" ? Qu'allez-vous modifier? <auteur="royal"> Les partenaires sociaux se mettront d'accord et discuteront branche par branche. S'il n'y a pas d'accord, il n'y aura pas de nouvelle loi. <auteur="sarkozy"> Que changez-vous? Les 35 heures comme un minimum, je ne les toucherai pas. Je garde les 35 heures comme la durée hebdomadaire. <auteur="royal"> Vous reconnaissez que c'est un progrès social économique important. Je vais vous donner un exemple. J'étais récemment dans une entreprise de haute technologie dans la Creuse qui produit des panneaux solaires. Elle est passée aux 32 heures et a augmenté sa productivité. Contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, j'en ai parlé à Zapatero et à Prodi. Je suis allée en Suède voir la situation des entreprises. Dans bien des entreprises, quand elles sont performantes sur le plan technologique, elles ont même de durées de travail inférieures aux 35 heures. <auteur="sarkozy"> A 32 heures, ils sont payés combien? <auteur="royal"> Ils sont payés comme aux 35 heures. <auteur="sarkozy"> On n'augmente pas le pouvoir d'achat. <auteur="royal"> Si. <auteur="sarkozy"> Or, il y a un problème considérable de pouvoir d'achat. <auteur="royal"> Laissez les gens libres. Laissez la liberté aux gens. Ne leur imposez pas de travailler plus pour gagner plus. Vous savez ce que c'est que la valorisation du travail ? C'est un travail payé à sa juste valeur. Trouvez-vous qu'il est normal que des salariés commencent leur carrière au Smic à 980 euros nets par mois et terminent . Laissez-moi finir! <auteur="sarkozy"> Qu'est-ce que vous changez dans les 35 heures? On n'y comprend rien. <auteur="royal"> Si, si, vous avez parfaitement compris. Vous faites semblant de ne pas comprendre. J'observe que vous ne reviendrez pas sur les 35 heures. Vous ne les avez pas remises en cause. Elles ne sont pas responsables de tous les maux de la terre, comme le dit également le Médef. J'ai rencontré la présidente du Médef, elle m'a dit : "Revenez sur les 35 heures. " Ce n'est pas sérieux! Il y a d'autres sujets sur lesquels discuter. Vous voulez qu'on annule les 35 heures? Elle m'a dit "non". Dont acte. C'est un acquis social important, mais cela a créé des difficultés dans des petites entreprises parce qu'elles ont été appliquées de façon trop uniforme. Nous rediscuterons des 35 heures pour savoir si, oui ou non, et de quelle façon elles peuvent être généralisées et dans quelles branches. Ce seront les partenaires sociaux qui en discuteront. Je les ai déjà tous reçus les partenaires sociaux. Je n'attends pas d'être élue pour travailler. J'ai rencontré l'ensemble des organisations syndicales et des organisations patronales. Je leur ai dit que la réforme profonde du fonctionnement de la République demain sera une réforme de la démocratie sociale. Je souhaite qu'il y ait davantage de salariés qui adhèrent aux syndicats. Pourquoi ? Dans un pays comme le nôtre où nous n'avons que 8 % de salariés qui adhèrent aux syndicats, alors que dans les pays du Nord de l'Europe 80 % des salariés adhèrent à une organisation syndicale, à ce moment-là il y a un dialogue social constructif qui se crée, des compromis sociaux. Je termine. <auteur="sarkozy"> Dans la fonction publique, autoriserez-vous l'octroi d'heures supplémentaires aujourd'hui interdites, oui ou non ?
La Fig. 7 donne à voir la façon dont les interactants s’interpellent par des questions, non seulement quant à leurs projets respectifs sur des thèmes électoraux, mais également quant au contenu de leurs énoncés, notamment par des tournures du type : Que veut dire "trop rigide"?
Par ailleurs, il faut souligner ici un flagrant indice de combat pour la prise de parole, thématisé par Royal lorsqu’elle dit, par exemple : Laissez-moi finir! De plus, un autre indice pertinent pour la mise en exergue du statut de débattant repérable dans le discours de Sarkozy est la demande d’explicitation à l’interlocuteur, qui contribue à sous-tendre la non intelligibilité de son discours; cela est explicite lorsque ce dernier dit à Royal : Qu’est-ce que vous voulez changer dans les 35 heures? On n’y comprend rien.
<auteur="sarkozy"> La politique moderne, c'est l'honnêteté ! <auteur="royal"> En effet ! <auteur="sarkozy"> Les pôles ont été créés en 2004, à la suite du rapport parlementaire remarquable de Christian Blanc. J'étais Ministre des finances, c'est alors que l'Etat les a créés. Cela ne pouvait pas être les régions, car les pôles sont des exonérations fiscales et sociales qui ne peuvent pas être décidées par les régions, mais par l'Etat <auteur="royal"> Mais qui ne sont pas arrivées <auteur="sarkozy"> Peu importe. <auteur="royal"> Non, pas "peu importe" ! <auteur="sarkozy"> Soyons honnêtes, il y a des choses bien que vous avez faites, des choses bien que nous avons faites <auteur="royal"> Les exonérations fiscales sont arrivées ? <auteur="sarkozy"> Oui. <auteur="royal"> Ce n'est pas vrai ! Aucune exonération fiscale... <auteur="sarkozy"> Ce n'est pas exact. Cela fonctionne, cela marche et c'est parce que cela marche que vous en parlez. Autrement, vous n'en parleriez pas. <auteur="poivre"> Santé, logement, retraite, ce sont des sujets extrêmement précis.
<auteur="sarkozy"> Vous voulez que je réponde tout de suite ? <auteur="royal"> Non, car on ne peut pas se plaindre de la dette et additionner les dépenses <auteur="sarkozy"> Voulez-vous que je réponde maintenant, madame ? <auteur="royal"> Non. Je vais être plus précise puisque vous l'avez demandé. Quand vous dites que vous allez financer l'augmentation des petites retraites par la réforme des régimes spéciaux, vous savez que cette réforme va prendre un certain temps. Il y a comme un tour de passe-passe. Vous ne dites pas combien de temps cela va prendre. Il y aura des discussions, des remises à plat. Moi, je veux revaloriser tout de suite dès mon élection les petites retraites <auteur="sarkozy"> Comment ? <auteur="royal"> Je mets des fonds supplémentaires au fonds de réserve de retraite <auteur="sarkozy"> Vous les prenez où ? <auteur="royal"> Par une taxe sur le revenu boursier <auteur="sarkozy"> De combien ? <auteur="royal"> Les partenaires sociaux en discuteront, mais le principe est là. <auteur="sarkozy"> Vous mettez combien sur le fonds ? <auteur="royal"> Je vous donne déjà les principes <auteur="sarkozy"> Il y a 36 milliards et l'Etat met 6 milliards par an, donc c'est très intéressant, mais cette taxe que vous annoncez, lorsque Jospin a créé ce fonds, il a prévu 120 milliards d'euros. Il y en a 36. Chaque année, l'Etat en met 6. Votre taxe est à peu près de combien ? <auteur="royal"> Cette taxe sera au niveau de ce qui sera nécessaire pour faire de la justice sociale. <auteur="sarkozy"> C'est une précision bouleversante. Vous ne pouvez pas donner de chiffre ? <auteur="royal"> Non. <auteur="sarkozy"> C'est votre droit <auteur="royal"> Oui, c'est mon droit, car la relance de la croissance économique va permettre des cotisations supplémentaires. <auteur="sarkozy"> Vous créez une taxe sans dire son montant et l'espérance de recette ? <auteur="royal"> Oui.
Les Fig. 8 et 9 sont des exemples évocateurs du combat pour la prise de parole entre Royal et Sarkozy, en ce que les interruptions de parole fondées sur des chevauchements en fin de tour – indiqués dans la transcription par les points de suspension –, sont particulièrement fréquents.
C’est le lieu privilégié du donner-à-voir du rôle de débattant, en ce que les contradictions exprimées entre les interlocuteurs sont thématisées par des tournures exclamatives. Partant, cela est à mettre en corrélation avec le fait que les indices de l’indexicalité marquent une co-construction de l’interaction par les membres en tant que débat : les interactants s’interpellent, se répondent et s’exclament face aux arguments de l’autre, dans le but d’une démonstration des faiblesses des arguments exposés par l’adversaire.
<auteur="royal"> Là, on atteint le summum de l'immoralité politique. Je suis scandalisée par ce que je viens d'entendre, parce que jouer avec le handicap comme vous venez de le faire est proprement scandaleux. Pourquoi ? Lorsque j'étais Ministre de l'enseignement scolaire, c'est moi qui ai créé le plan handiscole qui a demandé à toutes les écoles d'accueillir tous les enfants handicapés. Pour cela, j'avais créé parmi les aides éducateurs que vous avez supprimés, 7000 postes d'aides éducateurs, d'auxiliaires d'intégration. J'avais doté toutes les associations de parents d'enfants handicapés des emplois liés à l'accompagnement et aux auxiliaires d'intégration dans les établissements scolaires. C'est votre gouvernement qui a supprimé non seulement le plan handiscole, qui a supprimé les aides éducateurs, qui fait qu'aujourd'hui, moins d'un enfant sur deux qui était accueilli il y a cinq ans dans l'école de la République ne le sont plus aujourd'hui. Vous le savez parfaitement. Je trouve que la façon dont vous venez de nous décrire, la larme à l'il, le droit des enfants handicapés d'intégrer l'école, alors que les associations des parents d'handicapés ont fait des démarches désespérées auprès de votre Gouvernement pour réclamer la restitution des emplois, pour faire en sorte que leurs enfants soient à nouveau accueillis à l'école, y compris les enfants en situation de handicap mental à l'école maternelle, où avec moi tous les enfants handicapés mentaux étaient accueillis à l'école maternelle dès lors que les parents le demandaient. Laissez de côté les tribunaux, les démarches pour les parents qui en ont assez de leurs souffrances, d'avoir vu leur enfant ne pas pouvoir être inscrit lors des rentrées scolaires lorsque vous étiez au Gouvernement. Laissez cela de côté. La façon dont vous venez de faire de l'immoralité politique par rapport à une politique qui a été détruite, à laquelle je tenais particulièrement, parce que je savais à quel point cela soulageait les parents de voir leurs enfants accueillis à l'école. Vous avez cassé cette politique! Et aujourd'hui, vous promettez en disant aux parents qu'ils iront devant les tribunaux?! Tout n'est pas possible dans la vie politique, ce discours, cet écart entre le discours et les actes, surtout lorsqu'il s'agit d'enfant handicapé, ce n'est pas acceptable. Je suis très en colère. Les parents et les familles <auteur="sarkozy"> Calmez-vous et ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé! <auteur="royal"> Non, je ne me calmerais pas! <auteur="sarkozy"> Pour être Président de la République, il faut être calme. <auteur="royal"> Non, pas quand il y a des injustices! Il y a des colères saines, parce qu'elles correspondent à la souffrance des gens. Il y a des colères que j'aurai, même quand je serai Présidente de la république . <auteur="sarkozy"> Ce sera gai! <auteur="royal"> Parce que je sais les efforts qu'ont fait pour accueillir les enfants qui ne le sont plus. Je ne laisserai pas l'immoralité du discours politique reprendre le dessus. <auteur="sarkozy"> Je ne sais pas pourquoi Mme Royale, d'habitude calme, a perdu ses nerfs <auteur="royal"> Je ne perds pas mes nerfs, je suis en colère. Pas de mépris. Je suis en colère. Je n'ai pas perdu mes nerfs. Il y a des colères très saines et très utiles. <auteur="sarkozy"> Je ne sais pas pourquoi Mme Royal s'énerve... <auteur="royal"> Je ne m'énerve pas. <auteur="sarkozy"> Qu'est-ce que cela doit être quand vous êtes énervée! <auteur="royal"> J'ai beaucoup de sang-froid. Je ne suis jamais énervée <auteur="sarkozy"> Vous venez de le perdre. Madame Mme Royal ose employer le mot "immoral." C'est un mot fort. <auteur="royal"> Oui.
Enfin, la Fig. 10 est un autre exemple d’interruption de parole abrupte. En effet, Sarkozy, alors que Royal développe un tour de parole, s’autosélectionne, ce faisant, s’arroge la parole en commentant la gestuelle de son adversaire : ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé!, prétexte à une assertion qui tendrait à mettre en exergue la non capacité de Royal à accéder au statut de Président de la République, puisque Pour être Président de la République, il faut être calme.
L’intérêt d’une telle séquence, loin de chercher à évaluer le poids des stratégies rhétoriques employées par les interactants, est avant tout la mise en valeur du rôle social de débattant, en ce que par de telles productions, les interactants se catégorisent ainsi.
De tels exemples, fondés sur une étude transversale du corpus, sont manifestes
du point de vue la catégorisation en termes de rôle social de débattant par les
participants Royal et Sarkozy.
Nous nous focalisons ici sur la fréquence d’emploi des adverbes chez les acteurs du débat.
Ce graphe montre une fréquence d’emploi des adverbes nettement plus importante chez Royal que chez Sarkozy. A priori, un tel résultat est difficilement interprétable.
Cependant, sa mise en regard avec les résultats concernant les calculs de
fréquence de longueur des phrases lui donne une pertinence quant à l’évaluation
de la complexité du discours produit par les interactants.
En effet, ces indicateurs, mis en corrélation, sont l’indice d’un choix discursif, et partant, interactionnel, distinctif du mode d’adressage choisi par Royal et Sarkozy. De fait, bien que ce dernier formule le plus grand nombre d’occurrences dans le corpus, parallèlement, ses phrases sont plus courtes et il emploie moins d’adverbes. Ce qu’il est possible de dire d’après de tels résultats est que les choix discursifs de Nicolas Sarkozy tendent vers moins de complexité que ceux de Ségolène Royal.
En somme, les pratiques du donner-à-voir mises en oeuvre par les participants coïcident avec les prérequis d’une telle situation d’interaction : c’est ce qu’il a été tenté de montrer ici. En effet, tant du point de vue des régulateurs que des acteurs du débat, est donnée à voir une répartition des rôles sociaux dont l’asymétricité peut être conçue comme caractéristique, ce que les traitements statistiques et l’étude transversale du corpus Débat ont contribué à corroborer.